Chapitre 22

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L'arrivée se fait moins en douceur qu'habituellement, parce qu'en règle générale je ne suis pas traînée par le poignet. Je m'apprête à me mettre en position de combat quand deux bracelets glacés s'abattent sur mes poignets. J'essaie de faire appel à mes aptitudes sans succès et je lève un regard effaré à l'homme qui vient de m'en priver. Je me retrouve dépourvue de magie. Je me suis habituée au pouvoir qui parcourt mes veines, mais je ne suis pas pour autant vulnérable. Je lève le poing et frappe violemment la mâchoire d'Éros. Sa tête bascule en arrière pour revenir vers moi et il écarquille les yeux. C'est étonnant de voir à quel point ni l'un ni l'autre nous ne sommes prêts à ce que l'autre lui fasse du mal. Je le laisse à sa surprise et pars dans le sens opposé au sien. Je cours à toute vitesse sachant pertinemment où je vais. Je connais ces bois par cœur à force de les arpenter au cours de mes nuits blanches. Pensait-il réellement que je l'enverrais directement en Nostraria ? Ou pensait-il pouvoir choisir sa destination ? Je n'en sens rien, mais il a été idiot.

Je l'entends jurer et prendre ma suite dans cette course effrénée. Il faut que je rejoigne le poste de garde le plus proche. De là je demanderais aux soldats d'arrêter Éros par tous les moyens et d'appeler Ayden. Pourquoi ai-je choisi un point de la forêt aussi éloigné du poste de garde ? J'espère qu'il se fatiguera avant moi.

— Tu devrais arrêter de courir, petite souris. Tu ne fais que m'énerver.

Je redouble d'efforts sachant que je serai bientôt récompensé en voyant deux ou trois soldats arme au point. Je sens mon cœur battre la chamade. Mes pieds doivent être en sang. Mes talons me ralentissent. Je fais voler mes escarpins et la brûlure de la neige agresse mes pieds. Je fais fi de cette douleur et continue ma course. La disparition de mes escarpins fait rire Éros. Je me sens réellement comme une petite souris en cet instant. Il me reste quelques mètres avant d'apercevoir la bâtisse qui n'est en réalité qu'une pièce permettant aux gardes de rester au sec quand il pleut.

Je la vois enfin. Je me rapproche rapidement. La distance entre le poste et moi s'amenuise, mais je ne vois personne. J'y suis presque. Je me rends compte que la porte est grande ouverte. Je m'engouffre dedans, mais il n'y a personne. Je ressors aussi vite que possible.

Personne.

L'endroit est vide.

J'aimerais hurler, mais je préfère reprendre ma course vers un autre poste de garde. Ayden a dû remarquer mon absence et appeler tous les effectifs. Un corps s'abat sur le mien et je perds l'équilibre. Le sol rencontre durement mon corps et la neige me glace instantanément. Je me relève prête à me battre. Éros a fait de même. Il m'attrape le cou et commence à serrer. Je l'imite. Nous nous bloquons mutuellement la respiration. Je ne perds pas son regard de vue. S'ensuit un combat psychologique. Ce sera à celui qui lâchera en premier et ce ne sera certainement pas moi. Ma gorge me fait souffrir. Je ressens le besoin irrépressible de prendre une bouffée d'oxygène. Je sens la pointe d'un poignard sur mon ventre. De ma main libre, je cherche le long de ma robe le petit trou que j'y avais fait avant la cérémonie. Dès que mes doigts sentent le petit trou, je tire le plus possible. Mon esprit commence à s'embrouiller, mais je reste déterminée. J'élargis le trou jusqu'à pouvoir y passer ma main. Je saisis ma dague et la place à mon tour sur le ventre d'Éros. Il hausse un sourcil, mais il est beaucoup moins convaincant que d'habitude. J'aimerais saisir sa main et la retirer, mais je suis occupée à faire autre chose. Des points noirs commencent à assombrir mon champ de vision. Je ne peux même pas dire un mot. Il me lance un regard m'incitant à lâcher mon arme et je lui offre le même. Quand je ne sens plus l'arme sur mon ventre, je retire la mienne et l'on s'écarte l'un de l'autre d'un coup. Je recule de plusieurs pas et aspire une grosse goulée d'air. L'oxygène me fait mal à la trachée. Je me tiens le cou. J'ai envie de pleurer, mais je ravale mes larmes et relève la tête. Nous nous observons en chien de faïence, apparemment incapable l'un comme l'autre d'émettre un mouvement si ce n'est celui de notre respiration accélérée.

Le Joyau de Nostraria, tome 3 : la naissance d'une légendeWhere stories live. Discover now