Chapitre 8 : Krampus

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Aelynn eut du mal à convaincre ses parents de la laisser sortir ce soir. On était à Charrydale, après tout, et les adolescents pouvaient devenir dangereux quand ils sortaient en groupe. Sa petite sortie risquait fort de mal tourner.

- Je serai rentrée à 19h00, promit-elle. Je ferai bien attention.

- Tu sors avec qui ?

- Bi...

Elle faillit répondre 'Billy Smith' mais elle se reprit juste à temps. Ses parents ne serait pas rassurés s'iels apprenaient qu'elle allait voir un garçon, de surcroit plus âgé qu'elle et qu'elle connaissait à peine.

- Bitsy Monroe. La rédac-chef du journal du lycée.

Il y avait bien une fille qui s'appelait Elizabeth Monroe au lycée mais Aelynn la connaissait à peine. Son père semblait toujours sceptique.

- Vous allez faire quoi ? s'enquit-il.

- Juste rigoler un peu, c'est tout. Je n'ai pas beaucoup d'amies depuis que je suis rentrée de l'hôpital et elle a l'air sympa.

L'argument fit mouche. Les parents se regardèrent, puis acquiescèrent. Ils savaient leur fille plutôt introvertie et timorée et sortir enfin de sa coquille ne pouvait lui faire que du bien. La mère alla fouiller dans son sac et tendit à Aelynn un petit objet cylindrique.

- Tiens ! Si un garçon t'agresse, tu lui envoies ça dans les yeux. Et en cas de problème, tu demandes de l'aide à un adulte, compris ?

Aelynn mit la bombe lacrymogène dans sa poche avec un hochement de tête, embrassa ses parents et retourna à l'école d'un pas vif. Elle se sentait émue car c'était la première fois qu'elle allait passer du temps seule avec un garçon. Evidemment, elle avait déjà joué avec ses cousins pendant les vacances mais là, ce n'était pas pareil. Billy, c'était Billy.

Voilà qu'il était là, justement. L'adolescente ressentit une sorte de soulagement en voyant qu'il portait la même tenue qu'en classe, avec juste une paire de lunettes de soleil en plus. S'il s'était mis sur son trente-et-un, elle se serait sentie gênée, d'autant plus qu'elle-même ne s'était pas changée. Son allure décontractée la mettait à l'aise.

- Tu es superbe ! s'écria-t-il. On va où ?

C'était une bonne question. La plupart des endroits où on s'amusait d'habitude étaient fermés à cause du Venin. En effet, certains ados, des garçons en particulier, en profitaient pour tout casser ou pour harceler les filles. Aelynn réfléchit et répondit :

- Pas un endroit glauque, en tout cas.

- C'est Halloween, au cas où t'aurais pas remarqué. Tout est glauque.

- Je sais, mais... Je crois qu'il y a une petite fête officieuse près de l'Hôtel de Ville et que ça se termine bientôt. On pourrait y aller danser.

- Danser ?

- Oui ! J'adore danser.

Il fit la grimace et Aelynn se sentit déçue. Encore quelqu'un qui s'imaginait bêtement qu'une personne amputée ne pouvait pas danser !

- Tu veux pas plutôt qu'on aille chez moi ? suggéra-t-il.

- Euh, je sais pas si c'est une bonne idée. Tes parents pourraient s'imaginer n'importe quoi.

- Mais non ! Tu verras, ils diront rien contre toi. Ils vont juste passer la soirée tranquille sur le canapé pendant que nous, on boira un verre. Ça te dit rien ?

Aelynn réfléchit un instant. Elle trouvait un petit peu intimidant de rencontrer les parents d'un garçon qu'elle connaissait à peine mais après tout, cela ne voudrait pas dire qu'elle et Billy étaient ensemble. Elle pourrait toujours prétendre que Billy allait l'aider à réviser les maths.

- D'accord, répondit-elle.

Ils se mirent en route. Aucune voiture ne roulait dans les rues alors que d'habitude, on ne pouvait pas traverser sans faire attention. La plupart des lumières étaient éteintes et des enfants couraient partout, se servant par poignées dans les saladiers posés devant les portes ou courant après d'autres enfants pour leur prendre leurs bonbons. Evidemment, on ne pouvait voir aucun adulte. Passé dix-huit ans, il devenait risqué de sortir.

Un gamin vêtu d'un sac poubelle jaillit devant eux et hurla :

- Donne-moi tes bonbons, pétasse !!!

- Hé, c'est ma copine ! protesta Billy. Tu la laisses tranquille, compris?

- Tu me donnes tes bonbons ! Vous les vieux, vous êtes trop vieux pour manger des bonbons !

Billy devient blême. Il avança d'un pas, tremblant de colère, prêt à se jeter sur le gosse. A leur grande surprise, Aelynn éclata de rire.

- On voit bien que tu connais pas Krampus ! s'écria-t-elle.

- Quoi ?

- Krampus. T'en as jamais entendu parler ?

- Non ?

- Le démon qui hante les nuits de Noël ! A ta place, j'aurais peur !

- C'est une histoire pour les bébés !

Aelynn haussa les épaules et alla s'asseoir sur un banc, non loin de là. Elle fit signe au gamin de s'approcher.

- Moi non plus, j'y croyais pas, énonça-t-elle. On me disait que si j'étais gentille, le Père Noël m'apporterait des cadeaux et que si j'étais méchante, Krampus viendrait me prendre. Mais je n'écoutais pas. J'étais comme toi, j'étais vilaine, je prenais les bonbons des autres et je faisais des tas de bêtises. Et puis, une nuit...

Aelynn nota que beaucoup d'autres enfants s'approchaient, des enfants déguisés en sorcières, en vampires ou simplement enroulés dans des sacs poubelle. Les yeux de certains brillaient d'une lueur orangée. Elle leur fit signe de s'approcher plus près et continua, une note d'excitation dans sa voix :

- Une nuit, c'était Noël. Je n'avais pas fait de bêtises depuis une semaine et je pensais que le Père Noël passerait pour moi. J'étais dans mon lit. Je me suis réveillée au milieu de la nuit, le plancher grinçait dans le couloir. Et puis, c'est là que j'ai remarqué le grincement des griffes de Krampus.

Quelques enfants tressaillirent. Tout le monde la regardait avec des yeux ronds. Aelynn se sentait à la fois surprise et ravie : jamais elle n'avait obtenu une telle réaction face à un public ! Se sentant encouragée, elle continua :

- Je l'ai entendu qui s'approchait. Un pas, encore un pas. Et puis la porte s'est ouverte en grand et il est apparu, à moitié humain, à moitié chèvre ! Il s'est jeté sur moi et il m'a attrapée par le pied ! Je me suis agrippée aux montants de mon lit et j'ai hurlé, au secours, au secours ! Mais il ne me lâchait pas. Et puis...

- Et puis ? demanda un enfant qui n'en menait pas large.

- Mon père est arrivé mais il n'a pas réussi à faire lâcher prise à Krampus. Il a été obligé de me couper le pied avec une hache. Et s'il ne m'avait pas coupé le pied, Krampus m'aurait emmenée très loin. Voilà ce qui arrive aux enfants méchants.

- Tu dis que des mensonges ! cria un gamin déguisé en momie. Krampus, il existe pas !

- Ah ouais ? Alors comment t'expliques ça ?

Elle remonta d'un coup la jambe de son pantalon, dévoilant sa prothèse. Les enfants crièrent de peur et s'éparpillèrent de tous les côtés. Billy était mort de rire.

- Tu m'impressionnes, lui murmura-t-il à l'oreille. Viens vite, j'ai hâte de te montrer ma chambre...

Le Venin d'HalloweenWhere stories live. Discover now