Prologue

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Mes pieds écorchés foulaient les pavés brûlants de la cité, bercés par cette mélodie envoûtante que je connaissais par cœur. Sur les dalles ébréchées, mes jambes fatiguées d'avancer me portaient tant bien que mal sous le soleil de plomb et cette chaleur intenable qui menaçait de m'étouffer. Face à moi, les allées dangereuses se dressaient à mesure que j'avançais. Rectiligne et profond, le quartier pavillonnaire était devenu au fil des mois mon terrain de jeu. Les hautes tours des maisons-palais régnaient sur les lieux, surplombant ces rues dans lesquelles j'errais fugitivement jour après jour. Les voix se rapprochaient de moi, mon cœur tambourinait contre ma poitrine.

- Il est passé par là ! Rattrapez-le !


Les plaintes se faisaient plus pressantes et l'adrénaline pulsait sous mes veines comme un doux poison qui me maintenait en vie. Malgré les gardes qui me pourchassaient sans relâche, la peur n'avait plus aucune emprise sur moi. Non. Etait-ce peut être car cette situation était devenue quotidienne ? Sans doute. Je me sentais vivant. J'accélérais le rythme faisant fi des plaintes qui résonnaient dans mon dos. Cette vie de fugitif était devenue un jeu, je ne mesurais pas les risques. J'agissais sans rien regretter, volant, dérobant sous les yeux des badauds médusés. C'était de toute façon tout ce que ma condition d'intouchable m'offrait.


- On le tient ! gronda un homme à la voix grave au détour de la rue.


Sans réfléchir j'empruntai une rue perpendiculaire qui menait tout droit au Priaji. Le quartier malfamé de Pondichérya. Un sourire se forma sur mes lèvres. Personne n'oserait me suivre, c'était certain. Je pris la liberté de jeter un regard en arrière. Les gardes essoufflés, pestaient à plus de trente mètres. Je savais que la course-poursuite allait prendre fin. Le quartier résidentiel propret laisserait bientôt place aux bas-fonds de la ville où les voyous pullulaient.

Je continuai ma course, slalomant entre les bouts de verres coupants qui jonchaient le sol. L'un d'eux se planta dans mon pied et me décrocha une grimace, ralentissant ma foulée. Au milieu de la rue les pavés se faisaient plus discrets s'éparpillant sous une couche de terre poussiéreuse. C'était la limite. Une fois franchit la tranquillité du quartier commerçant irréprochable laisserait place au chaos.


Une racine qui barrait la route me fit trébucher, les pommes que j'avais dérobés sur Agoralia, la place centrale, m'échappèrent des mains, roulant sur le sol. A terre, une liane verte qui serpentait s'accrocha à mon pied. Cette saleté m'enserra le mollet à une vitesse vertigineuse comprimant ma peau tannée par le soleil. Sans réfléchir j'attrapai le poignard caché sous ma ceinture et tranchai d'un coup sec la plante sans réfléchir. La liane se desserra, libérant ma cheville marquée au fer rouge. Quelques secondes avaient suffi pour que la brûlure ne soit indélébile. J'allais souffrir quelques jours avant que la douleur et la plaie ne s'estompent. Les lianes et les plantes grimpantes carnivores se répandaient dans la ville et ses quartiers depuis des mois, zébrant les façades des maisons-palais. C'était de la « mauvaise-herbe » comme nous l'appelions communément dans le Priaji. Un poison dangereux qui gagnait du terrain et dont nous n'arrivions pas à nous débarrasser.

Sous la chaleur équatoriale, l'air chaud me collait à la peau. Je me relevai sans reprendre mon souffle et m'enfonçai dans un nuage de poussière vers le quartier Nord.


Les NoctambulairesWhere stories live. Discover now