I - Ambre

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L'aube s'étirait depuis plusieurs minutes dans le ciel morne d'Amsterdam. Les premières lueurs orangées tentaient de percer les épais nuages de pollution qui surplombaient le centre-ville. Aucun bruit ne s'échappait des fenêtres, ni des cheminées une fois la nuit tombée. On aurait pu croire la ville inhabitée si l'on n'osait s'aventurer derrière les portes fermées à clefs des buildings. Pourtant, la démographie explosait et la ville, telle une pieuvre vorace étendait ses nouveaux tentacules sur la campagne alentours.

Ils étaient des milliers, silencieusement retranchés dans leurs appartements à mi-chemin entre le rêve et la réalité prêts à vivre enfin la vie qu'ils avaient toujours fantasmé. Dans le quartier nord, à l'angle d'une rue dont nous tairons le nom ici, vivait une de ces rêveuses expérimentées : Ambre Desjardins.

A l'heure où les réveils sonnaient dans la ville, brisant le silence nocturne, elle était encore loin d'ici, dans un de ces mondes qui n'existaient que pour les citoyens comme elles : Les Noctambulaires.

Les bras en croix, les muscles détendus, un sourire aux lèvres, ses yeux fermés papillonnaient, créant des images incroyables dans sa tête. Les électrodes reliées au système informatique libéraient des impulsions synchrones et la maintenait dans cet état comateux. Pourtant le réveil allait sonner. Dans moins d'une minute, elle détesterait cette foutue sonnerie qui annoncerait une nouvelle journée bien réelle. Elle haïrait quelques secondes sa vie, qu'elle trouvait fade et sans saveur. Une fois le pied posé à terre, elle ne penserait qu'à une chose : la nuit prochaine qui s'annonçait excitante.

Le couperet tomba, la sonnerie stridente retentit. Une impulsion puissante traversa son épiderme, ses yeux lourds s'ouvrirent, la faisant éclore dans ce monde gris. Le silence autour d'elle la terrorisa. Les premières minutes qui suivaient le réveil était toujours les plus dures à supporter. La vue de sa chambre sinistre la tira rapidement vers la nouvelle réalité qui s'imposait à elle. Les quatre ordinateurs quantiques ultrasophistiqués branchés entre eux étaient allumés et projetaient sur les murs défraichis une lumière bleue rassurante.

Elle se leva et peina à garder les yeux ouverts pour atteindre sa cuisine attenante. Cinq pas, c'était tout que ces jambes devaient parcourir pour atteindre la cafetière. Le ronronnement de l'appareil et le liquide fumant réveillèrent ses derniers sens endormis. L'odeur réconfortante la tira des dernières images de la nuit qui collaient encore à ses paupières fatiguées.

Plantée devant le simple vitrage, son café fumant dans la main, elle jeta un coup d'œil furtif par la fenêtre. Plus bas, les premiers citoyens s'aventuraient dans les rues. Et tous les jours elle assistait impuissante à ce même spectacle. Les talons de sa voisine claquant sur le bitume, les ronronnements des voitures bruyantes, les cris des enfants qui refusaient d'aller à l'école. Ce perpétuel tableau digne d'une nature morte l'agaçait. Pourtant, elle savait qu'elle allait devoir sortir pour aller travailler comme tous les autres, comme des insectes quittant la fourmilière grouillante.

Elle s'habilla précipitamment, remonta les manches de son uniforme trop grand et sortit en claquant la porte qu'elle ferma à double tour.

*

Dehors le vent s'engouffra dans son manteau, piquetant sa peau comme un milliers d'aiguilles. La saison hivernale s'était installée depuis plusieurs semaines maintenant et le froid laissait son empreinte sur tout ce qui l'entourait. Elle dépassa les voitures aux parebrises givrés garées en files indiennes, trébucha sur une plaque de verglas avant de se rattraper à la vitre glacée de l'abri de bus qui tombait en ruine. Trois personnes au teints pâles attendaient, silencieuses. Ambre était mal à l'aise, d'autant que les regards convergeaient maintenant vers elle. Elle remonta la fermeture éclair de son manteau et leur tourna le dos, consultant sa montre. 7h42.

Les NoctambulairesWhere stories live. Discover now