Pendant /01

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Le plus horrible, c'est de se dire que quelqu'un pensait à moi de manière salace. Ça me rend malade quand je pense à ce qu'il faisait probablement le soir. J'ai peur de ce que je faisais dans ses rêves. Vaut mieux ne pas trop y réfléchir, allez- vous me dire. Eh bien oui, j'aimerais bien.
Mais vous savez, quand les flashbacks me submergent, que je voient des mains dégrafer mon soutien gorge et que je sens cette odeur, j'ai envie de vomir. Quand j'entends sa voix, quand je sens une présence derrière moi, quand on me touche la jambe comme il l'a fait, j'ai peur.

La boule au ventre.

Quand un homme s'approche trop de moi, quand une blague vicieuse s'étend dans l'air, quand on me drague. Quand un homme me regarde avec insistance, quand j'ai l'impression qu'on dévisage mes seins. Quand je me sens exposée, quand je me retrouve dans une petite chambre qui ressemble à celle de mes souvenirs.

Tout le temps, la peur constante.

Quand on me caresse la joue, quand on me murmure des paroles en espagnol...

Sur le moment, c'était encore pire. On vivait au même endroit. Je le voyais chaque jour. L'angoisse... Le mal de ventre quand je le croisais, son regard insistant, le mien que je détournais.
C'était tout le temps... Tout le temps. Une insinuation. Une caresse. Une bise trop proche de la bouche. Pendant deux mois, le harcèlement sexuel.

Ça détruit, c'est con, parce que au début rien ne s'est passé. J'avais peur, vous comprenez ? Mais il n'y avait pas vraiment d'explication rationnelle. Peut-être que c'est moi qui imaginais tout.

Il avait tout calculé ; toujours en dire assez pour que je sois mal à l'aise, jamais assez pour que je réagisse. Quand il me complimentait, j'étais terrorisée. Pourquoi, bon sang ? Ce n'était qu'un compliment.
Pourtant c'était déplacé, trop insistant. Ses regards faisaient peur. Quand on mangeait côte à côte, que les autres étaient tous là eux aussi et qu'il mettait une main sur ma cuisse, mon estomac se retournait.

A qui aurais-je dû en parler ? Qu'est-ce que j'aurais du dire?

Quand on a joué à s'attraper un jour avec mes sœurs, oui c'était gamin, il s'est immiscé dans le jeu et m'a attrapé par derrière. Il ne faisait que jouer.
Pourtant, il m'a gardé dans ses bras trop longtemps. Il pressait son entre-jambe contre moi. Je devais rêver. J'avais senti quelque chose de dur... J'étais folle.

Je ne supportais plus sa présence. J'avais envie de partir en courant, je l'évitais du mieux possible. J'avais peur.

Dans ma tête, je trouvais une explication pour chaque petit incident, je me rassurais.

Il avait une femme, et plus de 35 ans. Il ne pouvait pas m'aimer, ne pouvait pas me vouloir.
J'étais une gamine inintéressante, pas sublime comme mes magnifiques sœurs. J'avais et j'ai un corps avec des courbes assez développées, mais c'est tout.

Peut-être que c'est ça en fait ; il n'y a que mon corps qui le faisait bander.

Il était sympa, en fait. Tout le monde l'aimait. Il s'amusait bien avec les autres, il travaillait bien. C'était impossible qu'il me veuille du mal. Tout simplement impossible.
J'étais à bout de nerfs. Je cherchais le moment parfait pendant lequel j'aurais pu le gifler en toute légitimité, ou quelque chose de la sorte. Pour lui faire comprendre que j'en pouvais plus. Que je voulais pas.

Un soir, lorsque j'étais seule dans la cuisine en attendant de sortir le pain du four, il est venu. J'étais seule, dehors il faisait déjà noir. Je ne sais pas où étaient les autres. Je ne l'ai pas entendu s'approcher, j'étais probablement perdue dans mes pensées.
Il m'a entouré de ses bras, son parfum immonde est entré dans mes narines. Encore aujourd'hui lorsque je sens quelqu'un qui le porte, mon cœur s'accélère. Il m'a embrassé dans le cou. Il était derrière moi, n'a plus bougé. Ses mains posés sur ma taille. Je ne savais pas comment réagir, en fait sur le moment ce n'était pas réel pour moi. Ses lèvres froides et mouillées contre la peau de mon cou... Je tremblais. Il en avait rien à foutre, il est ressorti. Mon cerveau s'était déconnecté pendant un instant, comme s'il ne pouvait plus réagir. Comme si rien ne s'était passé. D'ailleurs, le lendemain moi-même je n'étais plus sûre de rien.

Pourquoi aurait-il fait une chose pareille ? Pourquoi rien ne semblait avoir changé ?
La peur ne quittait plus mon ventre, s'accrochait à mon estomac... C'est impossible à décrire avec des mots.
Je crois que vous ne pourrez jamais vous mettre à ma place.

Le rythme cardiaque qui s'accélère, une impression d'étouffer ... Enfin bref. Je pensais pas que ça allait empirer. S'il avait voulu me violer, il aurait eu des centaines d'occasions. C'était la preuve qu'il ne me voulait pas de mal et que j'étais juste une pauvre fille en manque d'affection et en trop plein d'imagination.

Un soir, je l'ai vu près de la fenêtre. Il me regardait dormir. Il me regardait dormir. Je suis devenue parano.
Je ne sais pas pourquoi ma famille n'a rien vu, je n'ai pas l'impression d'être une bonne actrice... C'est vrai que j'avais honte. Honte de ne pas être une de ces rebelles qui l'aurait tabassé dès le premier geste déplacé.
Sur le moment j'avais l'impression de faire partie d'une histoire fictive. Je ne réalisais pas. J'avais fêté mes 15 ans, et mon père avait oublié mon anniversaire.

On ne s'était pas vu pendant six mois, et il ne pensait même pas à moi. J'avais mal, mais pourtant tout semblait si paisible et si normal. La vie suivait son cours, la ferme avait toujours et encore besoin de volontaires.

Je ne vais pas vous mentir ; nous n'avons pas tenu un an, c'était plutôt vers les six mois. A force de voir les autres volontaires venir et partir, le goût du voyage nous a pris nous aussi. Le reste du temps, nous sommes partis vagabonder, un sac sur le dos, le long de l'Amérique centrale. Notre espagnol était devenu bon.
Enfin, si nous sommes partis, c'était aussi à cause de la patronne. Pas à cause du connard. Lui, il a bien profité des dernières semaines avant notre départ. Personne n'était au courant.

La patronne l'avait nommé chef des employés, c'est lui qui dirigeait les volontaires à présent. C'est lui qui disait quand et avec qui nous devions travailler.

Boule au ventreWhere stories live. Discover now