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And I don't want you and I don't need you... Les premières paroles de The Beautiful People parviennent à mes oreilles grâce à mon tout nouveau Mpman f10. La haute technologie asiatique, mes parents peuvent se la payer, comme tous les habitants de notre quartier. Je dois admettre que c'était un sacré cadeau d'anniversaire. Je me revois encore entre mes parents et Honey, les yeux exorbités devant le baladeur mp3 à moitié caché par le papier cadeau. Mon père m'avait donné une grande tape dans le dos et expliquant : « 16 ans est un âge important ! Tu vas pouvoir conduire la Buick Riviera de ton grand-père, par exemple ! Normal qu'on t'offre ça ». Ce soir-là, Honey et moi avions téléchargé des chansons de l'album Antichrist Superstar pour les écouter juste après, émerveillés devant ce petit bijou du progrès.

Je monte légèrement le volume du Mpman tout en enfilant mon manteau. J'entends d'ici des coups de klaxons précipités. Je crie : « A plus M'man, à plus P'pa ! » avant de fermer la porte du numéro 2425. Honey est effectivement là, à attendre devant le volant. J'ouvre la portière et boucle ma ceinture. « Tu es en retard, Ian ». J'éteins mon baladeur et me défends : « Je ne trouvais mon portefeuille, je dois le prendre aujourd'hui, c'est forcé. Depuis le temps qu'on attend ce jour... ». Honey hoche la tête, démarre et nous quittons l'Ocean Avenue. Je regarde le paysage si familier du trajet de ma maison jusqu'à mon lycée.

Honey est ma meilleure amie depuis le primaire. C'est aussi la seule. Non pas que nous soyons trop introvertis ou timides pour aller vers les autres, c'est juste que notre unique amitié nous suffit. Le plus grand point commun qui nous rassemble est notre idole : Marilyn Manson. On l'a découvert l'année de la sortie d'Antichrist Superstar, grâce à Barnaby, l'employé de Music's palace. C'est un magasin de musique où on a l'habitude de traîner. Barnaby nous connaissait déjà très bien à l'époque et nous proposait régulièrement des artistes, des groupes, des morceaux. Un jour où nous rentrions du lycée, il nous avait lancé : « Salut les deux ! Ecoutez-moi ça, c'est du Marilyn Manson, ça vient de sortir ! ». J'ai écouté pour la première fois Dried Up, Tied and Dead to the World et j'ai tout de suite adoré, pareil pour Honey. Depuis, on est devenus des véritables groupies, et nous rêvons d'aller à un de ses concerts.

Pendant le trajet, elle m'explique qu'elle voudrait se mettre à un nouveau projet artistique, peindre une série de portraits de personnes croquées sur Hollywood Boulevard. Mais pas n'importe qui, elle prend des gens qu'on peut certes croiser tous les jours à Los Angeles, mais qui se détachent de la foule. Elle avait déjà esquissé les traits d'un homme pleurant devant l'étoile d'Elvis Presley et un homme déguisé en table distribuant des prospectus pour une agence immobilière. Honey est une peintre très douée. Elle y passe des heures dans son garage, c'est son principal passe-temps. En outre, elle joue de la batterie. Ensemble on fait des duos, avec ma guitare électrique. Notre public est réduit, mais on s'amuse bien.

On arrive devant le lycée Albert Einstein. Honey se gare au parking des élèves. Je range le Mpman dans mon sac et sors de la voiture. Mon amie me demande :

- Quand est-ce que tu vas conduire Rupert, Ian ?

- Arrête d'appeler la voiture de Papy Rupert.

- Mais elle a une tête à s'appeler Rupert !, protesta-t-elle.

- Tu ne changeras jamais. Je conduirais Buick Riviera quand j'aurais mon permis. Et je ne suis pas pressé de l'avoir. Mes déplacements se résument au lycée, chez moi, Music's Palace, le Starbucks, la friperie et Venice Beach. Je peux tout faire à pieds, même si ça doit me prendre vingt minutes. Et puis tu n'arrêtes pas de me dire que ça ne te dérange par de m'amener au lycée.

14 Septembre 1998Where stories live. Discover now