Prologue

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Un jour, j'ai fait une liste des qualités que mon époux possèderait. L'idée m'était venue après avoir lu un stupide article sur la loi de l'attraction dans un magazine oublié par une cliente. Il paraît que faire une liste aide à poser nos intentions et atteindre un certain degré de clarté, qui en retour enclenche les forces invisibles à l'œuvre dans notre vie. Ma mère a un nom pour ces forces : Dieu. Moi, j'ai tendance à croire que c'est légèrement plus compliqué qu'il n'y paraît. Alors j'avais fait une liste.

J'avais seize ans lorsque j'ai déniché du papier à lettre dans le bureau de mon père. Il était de couleur crème, épais et un peu brillant, incroyablement doux sous mon poignet. Pour une raison qui m'échappe encore aujourd'hui, j'en avais fait un rituel solennel. Je n'avais rien laissé au hasard, pas même le stylo avec lequel j'avais écrit.

Il m'avait fallu une bonne demi-heure de réflexion avant de tracer le premier tiret. J'avais commencé par les attributs physiques : l'homme que j'épouserais aurait des yeux noisette, une tignasse désordonnée acajou, une barbe entretenue de quelques jours. J'avais aussi imaginé son sourire – des dents alignées, naturellement blanches et d'adorables fossettes. Dans ma tête il était plus grand que moi, mais seulement d'une petite tête et quelques. Je me souviens aussi avoir listé des critères atrocement précis en lien avec sa carrure, sa forme physique, des câlins que je n'avais encore jamais reçus. J'avais suivi les conseils de l'article : aucun détail n'était de trop. J'avais bien entendu aussi passé du temps à peaufiner sa personnalité – patiente, drôle, charmeuse. Je l'ai imaginé câlin et affectueux. Attentif.

Au final, j'étais parvenue à un recto-verso plein d'une version fantasmée d'un homme qui n'existait peut-être même pas, mais que la loi de l'attraction clamait pouvoir faire apparaître dans ma vie. Il suffisait juste de lâcher prise. Ce n'est pas quelque chose que j'avais fait de mon plein gré : ma mère m'y avait forcée d'une façon. Elle avait découvert la liste dans mes affaires, s'était offusquée de voir que je m'adonnais à des pratiques « païennes », comme elle avait dit. À ce jour, j'ignore encore ce qu'elle a fait de la liste.

Je ne pense pas souvent à ce moment d'égarement de toute façon. J'ai fait de mon mieux pour ne pas me complaire dans cet espoir que j'avais de contrôler au moins un petit peu ma destinée. Mais surtout, on m'avait présenté Damien quelques semaines plus tard, après la messe du dimanche. La première chose que j'avais noté à son sujet était ses yeux d'un marron-doré, tirant sur un vert riche. En deuxième ses cheveux châtain foncé, parsemés d'incroyables reflets. Puis son sourire avait été le signe qui avait tout rendu réel.

Pendant longtemps, j'ai cru qu'en me prenant cette liste, ma mère avait certes forcé le processus de lâcher prise, mais qu'elle avait aussi et surtout précipité ma rencontre avec l'homme que j'espérais attirer dans ma vie à travers une série d'attributs.

Aujourd'hui, je n'en suis plus si sûre.

J'ai rencontré l'homme idéal, mais il n'a presque rien en commun avec ma liste. Eden m'a aussi montré que j'avais oublié le plus important à l'époque : un amour réciproque et flamboyant, un profond respect mutuel. Ses défauts et les miens, ordonnés de façon à ce que l'on s'achoppe parfaitement l'un à l'autre.

Penser à Eden, à ce que nous avons partagé au cours de nos presque deux mois ensemble, me coupe le souffle. Je n'ai jamais fait l'expérience du manque avec autant d'intensité. Je pourrais presque m'enfuir en courant pour le rejoindre dans le petit village anglais où j'ai passé l'été. J'aimerais qu'il se matérialise à nouveau dans ma vie de manière inattendue.

J'aimerais qu'Eden m'attende à l'autel, pas Damien.

The Summer I Met You [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant