Chapitre 1

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Trois mois plus tôt

Lorsque la vieille cloche en laiton de la boutique tinte, je verrouille mon portable et le fourre dans la poche arrière de mon jean tout en me redressant. Je suis déçue de voir ma mère avancer vers moi à grandes enjambées, et je me félicite d'avoir rangé mon téléphone avant qu'elle ne le voie. Il pleut à verse et en continu depuis trois jours, décourageant jusqu'aux clients les plus fidèles. Mais à ses yeux, ce n'est toujours pas une raison valable pour utiliser mon portable au travail.

Ses bras sont chargés de sacs de pressing. Je lui tourne le dos pour rouler des yeux en paix. Je n'ai pas besoin de les ouvrir pour savoir qu'ils contiennent des modèles différents de robes. Je croyais pourtant qu'on avait clos le sujet... apparemment non.

— Marie a bien voulu me laisser emporter quelques robes pour que tu les essayes à la maison, commence-t-elle à expliquer sans même me saluer.

Marie est la meilleure amie de ma sœur aînée, Aline. Elle travaille à l'enseigne Mille et Une Robes, une des rares franchises indépendantes de notre ville. Elle ferait n'importe quoi pour faire plaisir à ma mère, quitte pour cela à lui prêter sept robes habillées et à ignorer délibérément mon opinion.

— Merci, mais non merci.

— Juliette, déclare ma mère en soutenant mon regard, la tête légèrement penchée sur le côté. On en a parlé, ma puce.

Mes gestes deviennent secs. Je déteste lorsqu'elle joue la carte des sentiments et utilise des petits mots affectueux. Ils ont pour exact but de me ramener à la hiérarchie dans notre relation : maman est l'adulte, c'est elle qui prend les décisions. Je peux exprimer mes préférences, mais c'est elle qui aura toujours le dernier mot. En tout cas jusqu'à mon mariage. Ensuite, cette responsabilité sera certainement transférée à Damien.

— Et j'ai très clairement dit qu'on pouvait se contenter d'une soirée tranquille.

— Juliette...

— Maman, je l'interromps, tu voulais la grande cérémonie avec un millier de personnes et je t'ai donné ça. Tu voulais aussi un repas avec la famille de Damien, et tu m'as promis qu'on couperait la poire en deux. Toutes ces robes, ce n'est pas couper la poire en deux, je conclus.

Mon ton lui déplaît, je le vois au pli désapprobateur qui se forme entre ses sourcils. Elle perd son sourire et ouvre la bouche pour répliquer. La cloche en laiton se fait entendre à nouveau, l'empêche de me réprimander.

Je force un sourire sur mes lèvres. Je l'espère accueillant, mais la tension dans les muscles de mon visage m'indique que je suis probablement en train d'échouer. Maman s'empresse d'entasser les sacs de pressing dans le vestiaire.

Lorsque je reconnais le couple qui s'approche du comptoir derrière lequel je me tiens, je sens une vague de chaleur se diffuser dans tout mon corps et détendre la moue sur ma bouche en un sourire sincère.

— Juliette ! me salue la femme aux boucles argentés, les yeux pétillants. Comment vas-tu, ma chère ? poursuit-elle avec son accent britannique prononcé.

— Bonjour, madame McKee.

Les McKee sont un couple à la retraite, qui fréquentent la boutique de mes parents chaque été depuis que j'ai l'âge de me souvenir des gens que je rencontre. L'année dernière, Aron venait tout juste d'être opéré du cœur alors ils avaient annulé leur séjour. Les McKee ne nous devaient rien, mais ils avaient quand même téléphoné à la boutique pour nous en informer.

Je fais le tour du comptoir pour aller à leur rencontre. Judie dépose un baiser sur ma joue, puis m'encercle de ses bras à la manière d'un ours. La vanille, qui domine les notes de son parfum, m'enveloppe et me transporte plusieurs années en arrière. Je ferme les yeux et comme souvent, je me surprends à rêver d'une toute autre vie. En vingt-et-un an, je n'ai jamais quitté la Suisse. Je doute qu'être mariée à un autre artisan local changera cela.

The Summer I Met You [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant