3. Grenier...

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La porte devant laquelle je me tiens est verrouillé par un loquet au-dessus d'elle. Je me mets sur la pointe des pieds pour l'atteindre et le repousse dans un bruit sec. Puis j'enclenche la poignée et libère le passage, repoussant ce battant à l'allure vieilli et délaissé. Devant moi, un escalier s'élève jusqu'au grenier, sombre pièce poussiéreuse et grinçante, silencieuse et d'une étrange paisibilité. Je monte les marches, tentant d'ignorer l'angoisse qui me parcourt lorsque je regarde cet espace se soustraire à ma vue pour s'enfoncer dans le noir, me cachant ce qu'il recèle. Plus je grimpe, plus je prie pour ne rien trouver de plus dans cette pièce que ce que je cherche, et non autre chose que je n'ose imaginer. On raconte plein d'histoires sur les greniers. Les greniers sont de bons endroits pour faire naître des histoires.

C'est calme, sombre, restreint, et encombré. On peut y cacher n'importe quoi comme y trouver n'importe quoi. J'atteins le plancher, me redresse et parcours l'endroit du regard. Je ne vois que les ombres et le reflet de certaines breloques, meubles, miroirs et bougies qui semblent m'épier depuis leurs coins reculés. Mes parents m'ont demandé de ramener une caisse remplis de vieux vêtements, qu'ils présument être au fond de la pièce, à côté de notre vieille lampe de chevet. Je l'aperçois à peine, posée sur un tabouret à trois pieds, bancale, presque ennuyée. Je me décide à frayer mon chemin à travers le comble pour accomplir ma tâche.

J'avance et contourne la première commode avec lenteur, pour passer entre elle et un amas de livres et de bacs remplis de vieux cd. Je lorgne le portant à vêtements qui se trouve sur ma droite. Je crois halluciner quand je vois une vieille robe à fleur se balancer doucement avant de s'immobiliser. Je la surveille tout en continuant d'avancer. Plus vite je serais sortie, mieux je me sentirais. Depuis toute petite, la porte du grenier me repousse et inversement. Mes parents me disaient que parfois je passais en courant devant elle et ne m'arrêtait que quand j'en étais suffisamment loin. Bien qu'ils se soient plusieurs fois moqués de moi à ce sujet, ils ont souvent trouvé mon comportement intriguant. Puis j'avais arrêtée de le faire en prenant de l'âge.

Forcément, à un moment donné, on arrête de croire qu'une chose va surgir de derrière cette porte et vous sauter au visage, s'agrippant à vous. Et un peu auparavant, on se donne du courage, et on brave la peur de se faire lâchement attaquer par dieu-ne-sait-quelle monstruosité tapie devant l'escalier. Je ne l'ai pas dit à mes parents, mais même aujourd'hui le grenier ne m'inspire toujours pas confiance. J'ai peur de ce qu'on pourrait me dire. Que je suis crédule de croire encore à des superstitions créées pour effrayer les enfants. Que je suis crédule de croire que quelque chose habite le grenier. S'il s'agit d'un rat ou d'un hibou, il suffit de le tuer ou de le chasser. Mais rien ne pouvait hanter cette maison, d'après mes parents.

Pire, existait-il quelque chose qui puisse seulement hanter un lieu sur Terre ? Les mythes et légendes n'étaient que racontars ; mes parents y croyaient et ça m'arrangeait d'y croire. Surtout en cet instant, où je m'avance en fixant, les yeux grands ouverts et la bouche fermée, ce portant qui manifeste mon attention. Lui aussi je le dépasse, lui jetant un regard par-dessus mon épaule, puis le délaisse pour faire face à ce qu'il se tient devant moi. Le grenier est long, et le sol est chargé d'objet en tout genre. Je remarque de la vaisselle, des bocaux de confitures, des chaises brisées et des vitres dont je ne peux deviner l'utilité. On trouve de tout dans un grenier.

J'enjambe une malle précautionneusement, et avance vers la lampe de chevet, esquivant les obstacles qui jalonne mon chemin à travers la pénombre. Je suis au cœur de la pièce dont la présence dans ma maison m'horripile depuis l'enfance, depuis l'époque où j'étais encore innocente. Je suis à présent devant la lampe, et je cherche autour du tabouret la caisse dont mes parents me parlaient. Il y en a une qui se trouve à sa droite, posée contre le mur dans le coin, parfaitement imbriquée. Des bouts de tissus en dépasse, je la rejoins et m'y accroupis pour examiner son contenu. Je prends un morceau dans ma main. Il est petit, coquet, a la douceur nostalgique des vieux vêtements de bébé. Je n'arrive pas à croire que nous allons donner ses frusques à mon petit cousin, ses frusques que je viens de trouver au fond de notre macabre grenier. Ça va me faire drôle de le voir les porter. Elles étaient à mon petit frère, qui n'ayant pas atteint l'âge de trois ans, n'a pas pu les porter.

Je frotte le tissu entre mes doigts, le teste, et pendant un instant je parviens à les regretter. Je n'en reviens pas que ma tante ait accepté de les prendre. L'idée me paraît triste mais surtout déplacée. Un bruit infime retentit derrière moi. Il était minuscule mais parvient à me faire faire volte-face, sur le qui-vive. Je scrute les ombres des meubles et breloques qui peuplent les lieux, passant mon regard sur elles. Le bruit ressemblait à un minuscule grincement. J'imagine qu'il s'agit d'une planche sur laquelle j'aurai marché plus tôt et qui après avoir supportée mon poids, aurait repris promptement sa place. Ça peut arriver, non ?

Sans plus attendre, je lâche le petit gilet bleu à boutons que je tenais dans mes mains qui retombe dans la caisse, désarticulé, et saisit les poignets de mon colis en me levant. Je fais demi-tour et sursaute violemment en poussant un cri d'effroi, lâchant tout ce que je porte. Mon bagage se fracasse au sol en tonnant tandis que je me retrouve à nouveau face au vide. Me regardant bien en face, une petite silhouette s'était tenu à trois mètres de moi sans bouger, et avait disparu aussitôt que je m'étais suis rendue compte de sa présence. Je plaque mes mains sur ma bouche et je la cherche partout dans la pièce en retenant un gémissement. La peur m'envahit si vite que je me jette sur ma caisse, manquant de tout renverser, et me dirige vers la sortie en passant à côté de l'endroit où se tenait la forme.

Son image repasse en boucle dans mon esprit alors que je me fraie un chemin le plus rapidement possible entre les décombres. J'ai vu un petit enfant, j'en suis sûre ! Et je ne l'ai même pas vu distinctement. Au moment où je passe au-dessus de la malle, celle-ci s'ouvre brutalement et le couvercle agrippe vicieusement mon pied. Je me vautre sur ma caisse, tombant à terre et tellement stupéfaite que je ne parviens pas à émettre un seul son. Ma respiration est coupée, mais la peur qui me hérisse les poils du dos me remet instantanément sur pieds. Je me précipite à travers la pièce sans plus réfléchir. Je me fiche de piétiner tout ce qui se trouve sur mon passage, je veux sortir ! Je cours piteusement dans le noir lorsque j'entends un bruit de roulement avant de rentrer dans quelque chose de mou et pourvu d'une multitude de membres. Je hurle si fort en me dépêtrant du portant qui vient littéralement de me foncer dessus et le traverse pour me rendre compte que rien ne semble l'avoir poussé en travers de ma course.

Je me jette dans les escaliers après mettre douloureusement esquinté la hanche contre la commode à l'entrée de la pièce et les dévale en catastrophe. Mes parents, alertés par mes cris, ouvrent en grand la porte du grenier et me réceptionne dans le couloir, le visage marqué par l'inquiétude. Le sang bat dans mes temps et mes oreilles tandis que mon père me saisit les bras et m'étudie fébrilement en me demandant ce qu'il s'est passé, ce que j'avais. Je leur réponds d'une voix hystérique en m'éloignant brutalement à grands pas de la pièce que je viens de quitter. "Il y a quelque chose dans le grenier !!!" Je ne pleure pas mais je pousse un sanglot de panique et je descends précipitamment au rez-de-chaussée sans lâcher mon colis. Je m'y accroche toujours désespérément quand j'arrive dans le. Mes parents arrivent à ma suite et me regardent tandis que je respire à grands coups, voûtée et désemparée. Ma mère m'arrache la caisse des mains et je me rends compte en me décollant d'elle que mes côtes me font mal. Les yeux fous et humectés, je ne sais plus où poser mon regard pendant que mes parents me considèrent avec anxiété.

Ils tentent à nouveau de soutirer des informations sur ce qu'il vient d'arriver. Ils me disent qu'ils m'ont entendue hurler à la mort deux fois de suite depuis la cuisine avant d'être surpris par le fracas monstrueux qui leur était parvenu du grenier. Je ne respire pas bien. Je ne me sens pas bien. Et je sens que ce que je viens de vivre m'apprend une chose. On raconte plein d'histoires sur les greniers. Les greniers sont assurément de bons endroits pour faire naître des histoires. C'est parfois calme, sombre, restreint, et encombré. On peut y cacher n'importe quoi comme y trouver n'importe quoi. Il y a des meubles, de la vaisselle, des bougies, des miroirs, de vieux vêtements et des chaises brisées. On y trouve aussi des enfants qui surgissent aussi vite qu'ils disparaissent, vous laissant en mémoire l'image d'un môme aussi froid et pâle que la pierre et aux yeux aussi creux et noirs qu'un puit.

En définitive, on trouve de tout dans un grenier...


.oOo.

Alors ? >:)

J'ai un problème avec les choses terrifiantes. J'aime pas les vivres mais j'adore les faire vivre ^^ Et vous, qu'en pensez-vous ?

MerlinGre

ColossalWhere stories live. Discover now