Le lendemain, Aïchö erre,
Sans but
Sans fin
Sans objectif
Elle veut se vider la tête.
Aïchö est une vague sur l'océan. Elle erre pendant un moment, se mêle à la foule pressée, hume l'air humide de l'automne, visite le monde du regard sans quitter son cocon d'eau. Mais la vague court et se brise, et se brise si fort contre les falaises en se fracassant, brille d'écume blanche, se noie dans l'immensité salée.
La jeune fille se laisse porter par le vent, s'efface dans la nature de la ville, traverse des rideaux de feuilles mortes, flotte dans le paysage sous ses yeux. Elle semble peindre les courants d'air et les faire se mouvoir pour se glisser à travers. Aïchö fait partie de ceux qui laissent leurs sentiments courir dans le vent ; c'est un des rares moments où elle parvient à laisser sa boîte s'entrouvrir. Alors elle se laisse guider par ses jambes, ses longs cheveux bouclés par le vent flottant derrière elle, cachée dans son pull en maille trop grand, son jean, ses Doc aux pieds, sa besace en cuir à l'épaule. Telle une âme-errante, elle marche.
Elle s'engouffre alors dans sa librairie favorite, où règne l'odeur du papier, des pages dans lesquelles on aime se perdre pour oublier. Pour s'effacer dans le monde des mots, se perdre parmi les lettres et en ressortir en mille morceaux, chamboulé par cette mélodie si impromptue.
Mais un sentiment nouveau envahit la jeune fille. En entrant dans ce lieu si singulier, un déluge de couleurs s'abat sur ses pensées, recouvrant les mots et émotions qui filent à toute vitesse dans son esprit. Elle sent les couleurs, pense en odeurs, et voit en mots. La librairie sent le bleu de la nuit et le vert des pins, le gris de la pluie et le bordeaux du vin, le jaune canari et le beige d'un nez aquilin. Elle pense cuir, papier, bois verni. Elle voit pages, pavés, étagères, lettres, mots, phrases.
Aïchö se fige. Elle voyait homme. Elle voyait vieil homme. Elle voyait vieil homme devant elle un livre d'art dans la main. Elle sentit blanc de l'oubli, nacre du ressentiment, perle de l'ignorance, noir de la noyade. Et elle pensa peur, l'odeur de la peur qui se mêle si bien à l'angoisse et à la culpabilité.
Elle fuit
un pied
devant
l'autre,
comme toujours,
elle avance, au loin.
Elle oublie ce qu'elle vient de ressentir par petits grains de sable tombant derrière elle,
De son âme KC
De ses pensées FMR
Elle a plon G
Dans l'O
Elle est écume, à nouveau, luit sur l'immensité de l'océan, délivre ses splendeurs avant de mourir dans l'eau salée.
O bout d'un mOmenT, aÏchö s'arrêTe devAnT Une pEtite boUtiQue à La dEvanTure biScoRNue. eLLe eNtRe, un AiR de pIAnO résOnNE dans l'R, elLe SOuffLe, s'ImPrègnE de l'AtMOSph'R sI dOUce et paRtIculI'R.
aïCHö prENd Un pinC'O et lE pa'SS sur sEs MaINs, aPPréCIe sa Douceur, pAsSE seS DOigTs suR lES aCrYLIquEs, leS HuILEs, adMIRe LEs FUSAIns et LeS cRaYONS grAPHiTE.
sES pen C Se PERDenT, s'EgAREnt, lES LeTTReS soNT MélAN G dANs sa TêtE
lEs PARticULeS aUTOuR d'L éCLAtEnt cOMme en MORCeaUX
eT L ParT eN COURaNT
dANS le déDaLE dES RuES
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La foule se déplace, dans des mouvements incessants, telle la marée sur le sable dur et froid. La foule est un tout, la foule emporte le moindre caillou qui s'y retrouve coincé, le porte d'un endroit à l'autre, le recrache échoué sur le sable. Elle prend tout, et seule une force immense peut l'arrêter, interrompre son mouvement continuel si fort et puissant.
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Aïchö
Short StoryAïchö est une éponge à sentiments. Tout ce que les autres ressentent, elle l'absorbe, dans sa boîte. Jusqu'au jour où la boîte craque Et qu'elle fasse une rencontre inattendue. Nouvelle lauréate (1er prix ex-aequo et prix de l'intensité émotionelle)...