Chapitre 2

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Angolo était devenu orphelin quand il était encore enfant. Son père Dicaprio, d'origine Tutsi, était le chef d'un groupe de rebelles armés. Ayant servi pendant plus de huit ans dans la trente cinquième bataillon, il fut expulsé de son rang pour une offense commise envers le commandant suprême. Déçu de l'altération et de la corruption, il partit avec certains de ses compagnons prendre des armes pour se siéger dans un village, chose peu rare à l'époque. Au début, son seul désir était de retourner dans l'armée et qu'on lui redonne son grade. Mais ne jamais céder aux demandes des rebelles, telle était l'attitude que les autorités adoptaient depuis un bon bout de temps. Aucune réponse de la part du gouvernement n'était émise face à ses demandes. Indigné de multiples scandales de corruptions qu'il observa après sa démission, il émit d'autres revendications et alla même jusqu'à employer la violence pour mettre de la pression. C'est ainsi que la vie tranquille dans ce village prit fin. Environ trois mois plus tard, lors d'une nuit, Dicaprio fut tué dans une explosion quand il était encore au lit, et c'est avec miracle que Angolo et sa mère survécurent. Le chef mort, le groupe rebelle dissous, c'est ainsi que Angolo et sa mère furent délaissés seuls dans ce monde.

La vie ne fut point facile après la mort du père, on regardait d'un œil froid cette famille qu'on jugeait responsable pour les atrocités commises par Dicaprio de son vivant. Fenêtres cassés, insultes, la haine grandissait de jour en jour après la mort du chef tutsi. La cible principale de cette aversion était Angolo, que tout le village appelait Enfant maudit. La violence escaladait rapidement et cela n'avait pas pris beaucoup de temps avant que la famille soit obligée à fuir le village.

Environ une semaine après le décès de Dicaprio, lors d'une nuit d'octobre, une quarantaine d'hommes encerclèrent la maison d'Angolo. Torches à la main, ils étaient tous armés de bâtons et de pelles, et certains d'entre eux emmenaient même avec eux une machette. C'étaient tous des personnes à qui Dicaprio avait fait du tort ou à qui un proche en était victime. N'osant se venger ouvertement quand le chef était encore vivant, ils décidèrent de s'en prendre à sa famille une fois mort.

Les hommes qui encerclaient la maison attendaient. Ils avaient tout leur temps. Le vent faisait rage et des petites gouttelettes de pluie commençaient à tomber du ciel obscur. Au bout d'une dizaine de minutes, un des hommes s'avança vers la maison et cogna doucement à la porte. Personne ne répondit. La maison demeura silencieuse. Seul le crépitement du feu mêlé au souffle du vent se firent entendre. L'homme cogna de nouveau, cette fois plus fort. Aucune réponse. Il redoubla sa force. Toujours rien. Il parla calmement.

- Si tu n'ouvre pas la porte, dit l'homme, nous allons tout simplement la casser.

Elkia savait que ce jour allait arriver tôt ou tard. Elle avait déjà commencé à préparer son départ avec Angolo depuis la veille du malheur. Elle savait ce que ces hommes voulaient d'elle et ce qui arriverait éventuellement si elle leur ouvrait la porte. Elle hésitait, ne savait quoi faire, et regarda son fils. Le jeune Angolo, tremblant, ne comprenant pas la situation, regarda sa mère le regard innocent et apeuré.

Elikia ouvrit la porte. Derrière elle se tenait Angolo terrifié, les yeux remplis de larmes, s'agrippant à la robe de sa mère. Elle avait un grand couteau de cuisine à la main droite et s'avança vers l'homme, le regardant d'un œil torve.

- Que voulez-vous? demanda Elikia d'une voix calme.

- Tu sais très bien ce que nous voulons, répondit l'homme. Donne-nous l'enfant.

- Nous allons partir demain. Allez-vous-en!

- Ne me fait pas répéter une autre fois, cria l'homme. Donne-nous l'enfant du Tutsi! Son père était la cause de tous les maux du village et il le sera lui aussi! C'est l'enfant du Tutsi! C'est un enfant maudit! Nous aurons l'enfant, de gré ou de force! Si tu nous le donne nous allons te laisser tranquille.

Les hommes armés s'avancèrent en agitant leurs torches et leurs armes tandis qu'Elikia les regardait en pointant le couteau vers eux. Les hommes arrêtaient d'avancer. L'homme qui avait parlé recula d'un pas.

- Baisse le couteau et donne nous l'enfant, ordonna-t-il en rugissant.

Elikia ne répondit point et garda le couteau pointé. Ils se fixèrent pendant une demie heure. Puis après un long soupir l'homme fit signal aux autres de partir.

- Très bien, dit-il avant de partir. Vous ferrez mieux de partir demain.

Angolo repensait souvent à cette nuit.

Ils savaient qu'ils pouvaient abattre ma mère et me mettre en morceaux par la suite avec leurs longues machettes, se disait-il souvent. Mais ils savaient aussi que ma mère descendrait le premier d'entre eux qui avancerait avant qu'ils ne l'aient descendu, et personne ne voulait être celui qui sera descendu. Personne n'osait alors avancer et finalement, ils partirent. C'est ainsi qu'elle me protégea, moi, l'enfant maudit qui avait dû mourir cette nuit, l'enfant indésiré qui a perdu son père à sept ans et dont tout le village souhait la mort. C'est ainsi que ma mère m'a protégé à elle seule de ces cinquante hommes armés de machettes.

Je lui dois tout à elle. Maintenant qu'elle succombait à la maladie, c'est à mon tour de la protéger et de la prendre sous mes ailes. Je ferais tout, tout, tout pour elle. Je ferais absolument tout pour la sauver.

Vies fragilesWhere stories live. Discover now