Chapitre 2

13 1 1
                                    

— Reste.

Le mot n'avait pas l'arrogance et le mépris des paroles que Dongfang Qingcang destinait habituellement à Changheng. Il était presque doux.

Ils avaient arrêté de s'embrasser mais Xiao Lan Hua était toujours collée contre son torse, peu désireuse d'en bouger.

— Cela fait cinq cents ans, dit Changheng d'une voix qui tremblait un peu. Je vais vous laisser en paix tous les deux.

— Changheng est venu ici chaque année, pour attendre avec moi, déclara Xiao Lan Hua à Dongfang Qingcang.

Ses grands yeux étaient arrondis par l'émotion.

— Je sais, répondit l'intéressé. Je l'ai vu. Je suis désolé de ne pas avoir pu revenir plus tôt.

Changheng disparut dans un nuage de lumière blanche, incapable de gérer ce qui venait de se produire.

— Tu as tout vu ? demanda Xiao Lan Hua.

— Oui. C'est passé en un éclair. J'étais conscient de tout mais incapable de faire quoi que ce soit.

Alors il avait vu comment elle avait failli, un an auparavant. Comment c'était la fermeté d'esprit de Changheng, et non la sienne, qui l'avait empêchée de chuter. Elle baissa les yeux vers le sol. 

Il releva son menton vers lui d'une main forte mais délicate.

— Cinq siècles d'attente et de doutes est une torture que je n'aurais pu supporter. Tu as été si forte.

Elle pleurait à nouveau.

— Je n'aurais pas dû douter. J'aurais dû...

— Chut.

Il l'embrassa et avala ses sanglots.

— Tu n'as rien à te reprocher. Je n'ai pas réussi à vivre dans un monde sans toi même pour une seule journée. J'ai préféré me mentir à moi-même et rêver notre vie en consumant presque toute ma force interne.

Il la serra un peu plus fort contre lui.

— Ce qui s'est révélé être une bonne chose, au final.

Elle le regarda, surprise.

— J'ai rêvé cinq cents ans de mariage avec toi et c'était un rêve si puissant qu'il a continué à infuser la Résidence de l'Arbitre même lorsque mon esprit ne s'y trouvait plus. C'est ça qui m'a ramené.

Elle resta bouche bée.

— C'est pour cela que tu as mis cinq cents ans à revenir ?

— Oui, c'est la durée de bonheur à tes côtés que j'ai pu acheter avec ma force intérieure, et c'est aussi le temps que j'ai dû payer pour te revenir.

Elle l'avait senti, se rendit-elle compte, à chaque fois qu'elle se trouvait dans la version de la Résidence de l'Arbitre qu'il avait construit pour elle dans la Mer de Cangyan : le murmure d'un baiser sur son poignet, le frisson de doigts fantômes sur sa nuque, l'écho d'un rire partagé. C'était pour cela qu'elle ne s'autorisait pas à y passer trop de temps : elle craignait de s'y perdre et d'abandonner ses devoirs de déesse au service de tous les êtres vivants.

— Je suis heureux que Changheng ait pu alléger ton fardeau, déclara Dongfang Qingcang.

— Je n'aurais pas dû le laisser faire. Ce n'était pas correct envers lui. Ni envers toi.

Il prit ses deux mains dans les siennes.

— Je ne me soucie plus de ce qui est correct. Tu m'appartiens, de toute éternité. Je n'en douterai plus jamais. La jalousie ne rime à rien.

Elle l'observa. Il y avait des galaxies au fond de ses yeux.

— Qu'essaies-tu de dire ? demanda-t-elle.

— Tout ce qui te rend heureuse me rend heureux.

Elle semblait toujours incertaine.

— Ça ne m'aurait pas dérangé qu'il reste il y a un an, explicita-t-il. Ni maintenant.

— Mais...

— Moi aussi, je le considère vraiment mon frère juré.



En dépit de ces paroles sincères, Dongfang Qingcang fut tout de même bien heureux d'avoir sa Petite Fleur pour lui tout seul cette nuit-là. Et pour bien des nuits par la suite.

Presque un mois entier s'était écoulé quand ils se rendirent compte que peut-être d'autres gens méritaient d'être mis au courant du retour du Seigneur de la Lune. Personne n'était venu rendre visite à la Déesse de Xishan. On savait qu'elle avait tendance à être mélancolique à cette période de l'année, et on la laissait tranquille.

Apparemment, Changheng avait gardé le secret.



Ils ne le virent pas pendant de nombreuses années car il était parti pour des tribulations aussitôt après avoir quitté la Résidence de l'Arbitre. Quand il revint à Shuiyuntian, Dongfang Qingcang et Xiao Lan Hua l'attendaient devant la chute d'eau immortelle.

Elle marcha droit sur lui, furieuse.

— Et si tu n'avais pas été capable d'accomplir ta destinée ? Ton esprit immortel se serait brisé ! Je n'arrive pas à croire que tu aies pris un tel risque, et pour quoi au juste ?

— Xiao Lan Hua. Je suis désolé de t'avoir causé du souci.

Il était sincère, le cœur en bandoulière, comme toujours.

— Quel idiot tu fais, grinça Dongfang Qingcang.

Le mépris était bel et bien revenu.

— Eh bien, j'ai vécu une vie heureuse, sans le rappel constant de ce que je ne peux avoir, répondit Changheng, un peu secoué par la froideur dans la voix du Seigneur de la Lune. Si risquer la dissolution de mon être est le prix à payer pour me débarrasser de cette douleur, alors cela en vaut la peine. Le poids de cette existence m'est trop lourd.

Il recula avec l'intention visible de se laisser tomber dans le cours du temps à nouveau.

La Déesse de Xishan l'attrapa par le poignet, forte, puissante. Il s'arrêta, et elle l'embrassa. La cage thoracique de Changheng se contracta sur elle-même, ou bien son cœur explosa, il ne savait guère.

Ce n'était pas le baiser timide et innocent d'un faible esprit floral. C'était la caresse lente et délibérée d'une déesse, immensément puissante et certaine de l'empire qu'elle exerçait sur lui. Elle tenait toujours son poignet et son autre main avait trouvé sa taille. Elle entrouvrit les lèvres et il ne put s'empêcher de lui répondre. Sa langue bougea contre la sienne, chaude et douce, et il sentit ses os fondre. Il voulut l'attraper quand elle se détacha enfin de lui, mais il s'arrêta net en entendant quelqu'un se racler la gorge.

Il n'osa pas bouger et croiser le regard de Dongfang Qingcang. Il resta figé là, et attendit qu'un vague de Feu de Verre l'engouffre. C'était une bénédiction. Il ne pensait pas goûter au baiser de Xiao Lan Hua avant de mourir.

— Je n'ai pas passé en vain soixante-quinze ans à te materner sous ta forme humaine pour m'assurer que tu accomplisses ton destin. Je ne compte pas recommencer, déclara Dongfang Qingcang d'une voix qui était peu moins neutre qu'il ne l'aurait souhaité.

— Qu... quoi ? balbutia Changheng.

Puis sa dernière existence mortelle lui revint en un éclair. Dongfang Qingcang y avait en effet fait irruption plusieurs fois à des moments-charnières, sous une apparence ou une autre, pour le guider l'air de rien vers la résolution qu'il était censé connaître.

— La peste soit des tribulations. J'en ai terminé, répéta le Seigneur de la Lune.

— Et puis, ajouta Xiao Lan Hua, je suis ta femme, désormais, et je te l'interdis.  

Cinq cents ans d'attente à tes côtésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant