Chapitre 6

8.9K 639 9
                                    

Une heure passe, bientôt deux et le soleil commence à s'effacer doucement. L'air s'emplit d'un nouveau parfum. Les travailleurs en costume laissent place à la jeunesse en liesse, heureuse d'être vendredi soir.

Tyler se lève et nous partons tous deux vers l'adresse que j'ai notée tout à l'heure.

Nous arrivons dans une avenue pleine de commerces en train de fermer. Au numéro indiqué se dresse un immeuble avec une entrée classique, fournie d'une porte en verre automatique.

"Bon. Tu surveilles mes arrières ? si tu vois quelqu'un de louche s'approcher tu envoies une vibration sur mon bippeur."

Tyler acquiesce et s'éloigne pour aller s'installer l'air de rien à une table appartenant à un café juste en face.

Quant à moi, j'inspire un grand coup et réajuste mon tailleur bleu marine. Je jette un regard dédaigneux autour de moi, prononce dans ma tête quelques phrases de français. Une fois que je suis bien dans mon rôle, j'entre d'un pas décidé dans le hall.

La secrétaire m'interpelle immédiatement et je m'approche d'elle.

"Bonsoir madame, je peux vous aider ?"

Son regard n'est pas particulièrement méfiant. Ses yeux sont légèrement cernés, un peu fermés et sa posture fatiguée.

-J'aimerais savoir pourquoi Monsieur.."

Je m'interromps et la regarde douteusement, comme si je n'étais pas certaine qu'elle ait le droit de connaître l'identité de son patron, avant de reprendre.

"Pourquoi votre patron ne s'est pas présenté au rendez-vous que nous avions convenu.

-Quel rendez-vous ?

-Bon sang, vous vous moquez du monde ? Je vous ai appelé la semaine dernière pour le confirmer !

-Heu, bredouille-t-elle, il y a eu un malentendu dans ce cas. Monsieur rentre aujourd'hui d'un long voyage, j'ai dû noter votre rendez-vous demain ou après-demain. Quel est votre nom ? Je vais regarder ce qu'il en est.

-Ecoutez, je crois que vous comprenez mal ce qui se passe."

J'inspire en fermant les yeux, faisant mine de chercher à contrôler ma colère.

"Je ne reste pas à Paris. Mon jet m'attend ce soir à 22h, et c'est absolument inenvisageable que je retourne aux Etats-Unis avec ce que j'ai dans mon sac. Je ne vais pas laisser votre incompétence mettre en danger mes affaires."

Le visage de la pauvre femme blanchit et elle semble avoir du mal à retrouver sa contenance.

"Je peux.. tenez, voici l'adresse à laquelle vous pourrez le trouver ce soir. Je le préviens que vous allez le retrouver, Mme ?

-Inutile, il sait parfaitement qui je suis. Merci."

Je m'empare de l'adresse qu'elle a notée sur une demi-feuille d'un geste agacé et tourne les talons avec empressement.

Mais dès que je sors de l'édifice mes épaules se relâchent avec soulagement. Tout s'est bien passé.

"Allez, on peut y'aller. Notre destination pour ce soir, dis-je en rejoignant Tyler, le bout de papier coincé entre mes doigts."

Il m'adresse un sourire fier et me félicite.

A l'hôtel, Thomas prépare de fausses invitations pour entrer sans problème dans ce qui semble être une boîte de nuit, privatisée pour la soirée. Pendant ce temps je m'habille avec soin. Il s'agit de faire bonne impression auprès de ma cible. Une robe bordeaux associée à un chignon relevé et à de grandes créoles me donnent satisfaction.

Dans le taxi qui nous amène au "Nighty club Weyst", Tyler est monté à l'avant et je fais mine de ne pas remarquer les regards dérobés de Thomas glissant sur mon corps. Etonnamment, j'aurais préféré quelques-uns de ses sous-entendus grivois qu'un silence d'autant plus évocateur.

Une fois arrivés, nous entrons sans problème et je me réfugie avec délice dans l'intimité qu'offre la foule. Si séduire une personne bien précise ne me dérange pas, attirer les regards en général sur mon corps ne me met jamais à l'aise.

"Vaut mieux qu'on se sépare pour faire nos recherches, nous glisse alors Tyler. On sera plus discrets. Je prends la piste de danse, Elise le bar et Thomas la terrasse. Quand on pense avoir trouvé notre homme on contacte les autres.

Ils partent chacun de leur côté, et je me retrouve seule au milieu de cette immense foule. Je balaie l'endroit du regard.

La salle est somme toute petite, bien qu'absolument bondée. Les gens dansent, fument sur les côtés et sur la terrasse extérieure. Un rythme électro semble transcender les jeunes, qui ont plus ou moins mon âge, et il flotte une drôle d'ambiance surréaliste.

Comment réussir à trouver un homme dont je ne connais même pas la couleur de cheveux dans tout ce bazar?

Je me promène au hasard parmi les gens qui enchaînent cocktails et shots, beaucoup étant déjà particulièrement éméchés. Je croise alors le regard insistant d'une fille. Je m'arrête sur ses cheveux bruns et son nez retroussé. Mais c'est son regard mauvais qui me fait tilt, et je reconnais l'une des filles de la classe que je devais surveiller. A côté d'elle, en train de discuter bruyamment avec un gars, une de ses amies que je connais également. Vu son regard, elle voit également qui je suis.

Je m'arme d'un sourire, décidée à comprendre ce qu'elles font là.

"Alors vous êtes à Paris, vous aussi ? C'est sacrément drôle qu'on se retrouve ici !"

Ça doit être la première fois que je leur parle. Je vois bien qu'elles ne s'y attendaient pas. C'est vrai que durant les mois passés à leurs côtés je décochais rarement plus de trois mots par jour.

"Bah on est en voyage de classe, c'est toi qui est bizarre de poser la question, on en parle depuis le début de l'année, répond la brune avec un ton légèrement hautain."

Elle continue de me répondre avec lassitude, cherchant certainement comment se débarrasser de moi, mais je ne l'écoute plus que d'une oreille. Non loin de là, couvrant le vacarme de la musique, le nom "Klyuel" parvint jusqu'à les oreilles. Mes yeux sondent la direction de laquelle a surgit ce nom. Non loin de moi, un homme en costume tend un papier à un autre homme, de dos, accoudé au bar.

C'est sûrement lui. Deux mains agrippent mes épaules.

"Aaah ! je me retourne brusquement après avoir sursauté. Crétin, tu m'as fait peur !"

Thomas rit bêtement.

"C'est lui. Le mec qu'on cherche. C'est lui.

-Comment tu sais ?

-Mon intuition. Il n'arrête pas de jeter des coups-d 'oeil autour de lui. Sa secrétaire a dû le prévenir que quelqu'un le cherchait, mais lui sait qu'il n'avait de rendez-vous prévu avec personne. Il ignore l'identité de celle qui l'a demandé et il sait qu'elle viendra le voir ce soir. Regarde sa jambe. Il n'est pas serein, elle n'arrête pas de trembler. Va vérifier mais je pense que c'est lui, je te surveille de loin s'il y a un problème."

Avant que je n'aie le temps de lui répondre, Thomas repart et s'éloigne vers la piste de danse. Me surveiller, bien sûr, monsieur va s'amuser maintenant. J'envoie un message à Tyler pour le prévenir, histoire que si ça dérape au moins l'un d'entre eux ne soit pas loin. Je sais me défendre, mais c'est quand même leur rôle.

A présent, je contrôle ma respiration et m'avance vers l'homme en jouant des coudes. Mais lorsque je lui tapote l'épaule et qu'il se retourne vivement, nos deux visages se figent.

Y'a des moments, comme celui-là, durant lesquels on regrette de s'être levé le matin.

Être agent secretWhere stories live. Discover now