Prosaïk

PRØSΛÏҚ

Accoudé au rebord de ma fenêtre, les yeux écarquillés, je contemplais la lune. Les phares blancs des voitures fendaient le noir des rues dans un rugissement de moteur qui s'éloigne, et dans le loin de la ville, des  silhouettes d'hommes au visage couvert s'enfonçaient, discrètement, dans la forêt voisine qui longeait le cimetière, en rasant les murs tagués des maisons de quartier.

Minuit sonnait depuis l'église et mes volets tremblaient, malmenés par le vent qui se levait dans un frémissement grave qui venait couvrir les bavardages des passants qui marchaient, lentement, sous les aboiements sourds des chiens errants, et sous le regard de bronze d'une statue sans bras, sur des éclats de verre qui jonchaient le pavé maculé de crachats.

L'Horizon s'était assombrit, le ciel se couvrait, et le grondement lointain de l'orage troublait l'étrange tranquillité qui s'était installée. Des courants d'air électriques de plus en plus violents s'engouffraient dans la pièce et décrochaient les dessins qui tapissaient les murs. Des frissons me parcouraient l'échine, la température baissait, et j'essuyai d'un revers de la manche mon nez qui me chatouillait, en reniflant, le visage giflé par les rafales qui balayaient mes franges. L'humidité montait jusque sur le parquet, et je frottais mes mains qui s'étaient engourdies en reculant pour claquer la fenêtre, enfermant sans le vouloir un papillon de nuit qui martelait la vitre d'un battement d'ailes frénétique.

Je discernais des ombres qui parlaient, adossées contre des meubles qui tranchaient leurs allures, comme la lumière du feu des cheminées filtrait à travers les rideaux tirés de la résidence d'en face. Je distinguais des notes de musique, des rires, et l'effluve boisée des bûches consumées qui s'échappait de l'âtre. J'étais ailleurs, les yeux rivés sur l'extérieur, le front plaqué au carreau. Et comme je baillai, en attendant la pluie, je traçais les contours d'un visage qui pleure sur le verre embué.

Ħeиrik