Chapitre 10

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Lóng se dirigeait vers le Bronx. Si son père n'était pas au dojo, c'est qu'il était forcément avec le Maître. Il fallait qu'il délivre Takeshi. Pourquoi donc tenait-il tant à Shinji, cet espèce de rat visqueux ? Elle haïssait le jeune Chinois plus que tout au monde, c'était de sa faute si elle avait quitté son père. Mais, sans lui, elle n'aurait pas connu le Maître et ses deux frères. Son esprit semblait divisé en deux : d'un côté, elle le détestait pour lui avoir volé Jigoro ; d'un autre, elle le remerciait.

Elle quitta la Broadway Avenue pour s'engager dans la 5e Avenue. Elle avait tout son temps ; New-York est une grande ville, et le groupe qu'elle venait de quitter ne la retrouverait pas. C'était peut-être la seule chose qu'elle haïssait autant que Shinji : New-York. Cette ville était le centre financier, économique, culturel des Etats-Unis, mais également le centre des immigrés, sans-papiers et « hommes-cartons ». Ho Sang était fille d'immigrés et, en plus, elle n'avait pas été déclarée à sa naissance. A cause de cela, elle n'avait jamais été à l'école. Elle n'existait pas. Et, bien que son père, puis le Maître, l'aient éduquée, elle se demandait parfois si elle avait le même niveau scolaire que ceux qui étaient en cours.

Elle passa à côté du Central Park et ne s'y arrêta pas même quelques minutes. A présent, elle avait hâte de retrouver son père et Takeshi. Une dizaine de minutes plus tard, elle quittait l'île de Manhattan par un pont la reliant au reste de la ville, pour aller au Bronx. Le Bronx, elle ne craignait plus d'y aller depuis des années, Jigoro l'y avait souvent emmenée pour lui montrer les dangers de la ville. Il n'en avait jamais eu peur, il connaissait sa force, et Ho Sang savait qu'elle ne risquait rien. Les élèves de son père lui avait fait une telle réputation en vantant ses mérites que son surnom en faisait trembler plus d'un. Une véritable légende pesait sur elle, on disait que seul son père pouvait encore la maîtriser, et beaucoup connaissaient la force de l'homme. Ce dernier avait gagné les rares compétitions auxquelles il avait participé. A présent, il était devenu un héros mystérieux, sans famille, ni passé. Ho Sang était fière de lui et de leur réputation.

Au Bronx, les dealers s'écartaient d'elle. Seul un groupe de jeunes la bloquèrent.


Shinji leva la tête au moment où une dispute éclatait près de lui. Le jeune noir qui était parti seul venait de revenir avec tout le groupe, auquel manquait Lóng. Les deux frères reprenaient leur discussion là où ils l'avaient laissée, et une avalanche d'insultes déferla entre eux.

Le jeune Chinois, qui travaillait depuis plusieurs heures à casser ses liens, tira d'un coup sec dessus, afin qu'ils s'enlèvent rapidement. Il détacha David et lui ordonna de rejoindre leur Maître. Pendant ce temps-là, Shinji s'avança vers les deux frères pour créer une diversion. La manœuvre fonctionna, permettant à David de s'enfuir avant qu'ils n'aient eu le temps de le voir. Lorsque Rachelle s'en aperçut, le jeune homme était déjà loin et, sur le visage du jeune Chinois, s'illuminait déjà un rictus triomphant.


Celui qui semblait être le chef de bande des jeunes regarda Ho Sang avant de lui demander :

- J'aime savoir le nom de ceux que je tabasse. Tu es chez moi. Ton nom !

- Lóng.

- Ainsi, nous voici donc en présence de Lóng, l'indomptable ! Tu n'as pas quelques caresses pour nous ?

Un rire gras se fit entendre dans son entourage.

- J'aurais plutôt mon poing dans ta tronche, si je n'étais pas pressée.

La jeune chinoise s'avança pour passer. Elle n'était plus très loin de son père à présent et, chaque seconde de perdue était pour elle un calvaire. Mais, le chef de groupe n'avait pas l'intention de l'entendre ainsi et se plaça devant elle pour lui barrer le chemin.

- Dis-donc ! Tu crois peut-être que je vais te laisser passer !

- Si j'étais toi, je me pousserais pour me laisser passer. J'ai horreur d'être retardée !

Et, avant même qu'ils s'en soient rendus compte, elle avait décroché un coup de pied dans le ventre d'un des jeunes et avait attrapé le pistolet d'un autre, qu'elle pointa sur le chef. Lorsque les autres furent partis, elle l'assomma d'un coup de crosse, et s'en alla.

Elle s'arrêta juste devant le bâtiment abandonné dans lequel Jigoro avait installé une seconde résidence. Puis, elle entra. Les chaussures que Rachelle lui avait données tapaient contre le carrelage abimé du couloir. Il régnait une odeur de renfermé qui fit frémir la jeune fille. Les murs avaient été tagués sur presque toute leur hauteur et la peinture se craquelait de partout, jaunie par le temps. Les yeux de Ho Sang s'habituèrent peu à peu à la semi-obscurité régnant dans le bâtiment. Un murmure la guidait à travers les salles ; elle n'écoutait pas ce qu'il disait, ne savait pas de qui il provenait. Et, pourtant, elle était certaine que son père se trouvait près d'elle. Une odeur légère d'ylang-ylang arriva aux narines de la jeune fille et elle sut immédiatement que ses espérances n'étaient pas vaines. Son père avait découvert cette fleur grâce à Hinano et, à présent, cette fraîche et douce odeur semblait la sienne.

Le murmure se transforma bientôt en une parole bien distincte, voix grave et calme, dans laquelle Ho Sang reconnut le Maître. Elle se mit sur la pointe des pieds et se plaqua, le plus près possible de la porte, contre le mur. Le silence revint, obligeant Lóng à bloquer sa respiration. Quiconque n'ayant pas vu les deux Maîtres aurait pu penser que le bâtiment était vide. Quelle ne fut pas alors la surprise de la Chinoise, lorsqu'elle entendit :

- Tu peux entrer, ma Gamine, ma porte est ouverte. 

LóngWhere stories live. Discover now