Chapitre 15

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Jigoro poussa un soupir de soulagement lorsqu'il aperçut, au dehors, Rachelle. Il sortit avec son ancien Maître, ses fils et David, et fut surpris et heureux de voir, derrière la jeune femme, Shinji et Ho Sang discuter ensemble. Sa fille lui fit signe en lui montrant, dans sa main, un objet carré qu'il devina comme étant une disquette.

Quelques minutes plus tard, toute l'équipe se trouvait réunie autour d'un ordinateur qui était dans le bureau et accueil de Jigoro. Ils regardaient le contenu de la disquette et, sur le visage du propriétaire des lieux, on pouvait apercevoir un mélange de tristesse et de colère. La photographie d'Hinano lui rappelait d'anciens souvenirs de l'époque où il avait connu sa bien-aimée... Il se souvenait, comme si ça c'était passé la veille, du jour où ils s'étaient rencontrés, lorsque la jeune fille et ses parents étaient venus visiter Takeshi. Au moment où le regard de Jigoro, alors âgé de dix-huit ans, avait croisé celui d'Hinano, il avait su qu'un courant était passé. Le soir, lorsqu'ils s'étaient quittés, ils s'étaient promis de se revoir au plus tôt. Le lendemain matin, le jeune Chinois attendait la belle à la porte de l'appartement de ses parents, avec un bouquet de fleurs dans les mains. A partir de ce jour, ils s'étaient revus tous les jours et, six mois plus tard, ils se mariaient, Hinano était alors enceinte de trois mois. Ils étaient partis pour les Etats-Unis, symbole pour eux (en particulier pour elle) de liberté. Ils voulaient que leur enfant vive dans un grand pays développé. Aujourd'hui, leur fille vivait certes dans un état riche, mais elle souffrait de l'exclusion, le malheur et la pauvreté. Mais, à cette époque-là, tout leur paraissait si différent. L'amour et leur pays pauvre leur avaient donné des ailes, et ils s'étaient installés dans un petit appartement de Floride. Jigoro avait trouvé un travail de videur dans une boite de nuit. Et c'était à cause de cela que la route de Bill O'Neil avait croisé la leur. En effet, Hinano craignait de rester seule la nuit. Ils avaient donc décidé qu'elle accompagnerait et resterait avec son mari à son travail. La boite appartenait au juge O'Neil. Celui-ci avait été frappé par la beauté et la grâce qui émanait de la jeune femme. Aussitôt, il avait abordé le couple et avait propos à Hinano de rester avec lui et ses amis dans une salle plus au calme de la boite, ce qu'elle avait accepté avec joie. Quelques jours plus tard, il tentait de la violer. Elle s'était débattue et enfuie rejoindre son mari. Puis, tout avait été très rapide. Jigoro l'avait ramenée chez eux, afin de comprendre ce qu'il s'était passé. La police était arrivée et avait enfoncé la porte de leur appartement. Ils avaient tout renversé, fracassé, sans différence pour ce qui avait, ou non, de la valeur. Ensuite, ils avaient emmené Hinano. Jigoro s'y était opposé. Les policiers avaient sorti leurs matraques et l'avaient laissé pour mort, allongé sur le pavé glacial, son sang s'écoulant de par diverses blessures. Plus tard, il appris qu'Hinano était accusée de vol par un homme qu'ils ne connaissaient même pas, et dont il comprit, après le suicide de son épouse, qu'il était un membre important du réseau mafieux que le Killer commandait.

Le Chinois revit le jugement, la face effondrée d'Hinano lorsqu'elle entendit le verdict (l'enfermement en hôpital psychiatrique), le sourire cruel de Bill O'Neil... Tout lui revenait en tête. Jusqu'à la première fois où il avait tenu sa fille dans ses bras, alors qu'il la « kidnappait » de l'hôpital de la prison où avait été transférée Hinano, la dernière fois où il avait vu sa bien-aimée, déjà morte...


Rachelle rompit le silence.

- Je crois que j'ai un moyen pour faire tout avouer à cet homme.

- Comment cela ?, demanda Takeshi.

- Il va chercher à se débarrasser de nous, de nous tous. Et, quand il viendra à nous, il faudra le faire parler.

- Et à quoi cela nous servira-t-il, mis-à-part le fait de raviver en nous de vieilles blessures ?, grogna Jigoro.

- Je suis journaliste, n'oubliez pas !

- Rachelle a raison, Jigoro. Vous devez avoir de quoi filmer les aveux de Bill O'Neil, Rachelle ?

- C'est exactement ce à quoi je pensais !

- Il faudrait l'attirer dans les bâtiments du Bronx, proposa Jigoro. On éviterait ainsi les accidents qu'il pourrait y avoir ici. Cet... homme déteste tout ce qui n'est pas blanc et soumis.

- Et que ferait-on de cet enregistrement ?, demanda Ho Sang.

- Je pourrais voir avec Denis pour la passer au journal télévisé. Ce serait votre vengeance, à tous les deux, répondit la journaliste en regardant la jeune fille et son père.


Bill O'Neil ordonna à Mark, un de ses dealers, de se poster au Bronx, dans les bâtiments abandonnés, afin de préparer le terrain avant d'attaquer son ennemi et ses amis. Mark prit donc quelques hommes avec lui et partit. Le soleil tapait encore très fort, en cette fin d'après-midi. Il faisait très chaud, la température au thermomètre approchait les trente-cinq degrés Celcius, mais le soleil qui brillait dans le ciel bleu roi disparaissait peu à peu, englouti par la noirceur des dangereuses rues du Bronx. L'été, qui semblait si proche lorsque l'on se trouvait dans Central Park, paraissait très loin dès que l'on entrait dans ce quartier chaud de New-York.

Mark et les six hommes s'installèrent dans quatre bâtiments abandonnés qui formaient un carré autour de celui de Jigoro. Ils posèrent dans chacun une quinzaine d'armes. Puis, Mark se posa à l'intérieur d'un des bâtiments et téléphona à son patron...


Shinji s'était éloigné du groupe et était sorti avec Max, se posant sur une marche devant le dojo. Il repensait à tout ce qu'avait dû subir Ho Sang dans sa vie et ses sentiments continuaient à changer à son propos.

Il sentit une main se poser sur son épaule et se retourna. Ho Sang se tenait debout derrière lui et lui demanda, d'un ton brusque :

- Ça te dérange si je m'assois ?

- Pourquoi prends-tu toujours un ton agressif qui n'est pas le tien ?

La jeune fille ne répondit pas et resta debout. Shinji lui murmura :

- Tu peux t'asseoir, fille de mon Maître.

Ho Sang le regarda, surprise de cette appellation, puisque le Chinois l'avait toujours considérée comme son ennemie, et comme une moins que rien. Ses petits yeux noirs semblèrent s'agrandir, mais elle contrôla sa surprise et s'installa à côté de Shinji. Le jeune homme posa son regard sur elle et l'entendit lui dire :

- Je commence à regretter que nos relations aient si mal commencé.

- Moi aussi !, fit une voix derrière eux.

Ils se retournèrent et virent Jigoro. Les deux jeunes se regardèrent avec un sourire complice avant de s'esclaffer, bientôt suivis du Maître.


Horoku prit trois de ses élèves, laissant David et Shinji avec Jigoro et le vieux Maître, et partit pour le Bronx. Les autres les rejoindraient plus tard, après avoir mangé un peu. Horoku et ses élèves passèrent acheter de quoi s'alimenter près de la Broadway Avenue et remontèrent à pieds la Cinquième Avenue. Les élèves commençaient à fatiguer, après le combat de la veille. Deux portaient des bandages et pansements car ils avaient été blessés. Horoku souffrait à la jambe gauche et boitillait néanmoins, il pressait le pas de ses élèves. Ceux-ci le suivaient de près et le quatuor ne passait pas inaperçu dans les rues de Manhattan, puis de Harlem. De là, ils traversèrent Harlem River pour rejoindre le Bronx et les bâtiments abandonnés. En arrivant près dans leur repaire, Horoku entendit un bruit et murmura à Marcus, un de ses élèves :

- Contacte David. Qu'il dise au Maître que nous ne sommes déjà pas seuls...

LóngWhere stories live. Discover now