Chapitre 17

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Bill O'Neil manqua de rire. Quoi ? C'était donc cela le groupe de ce chintock qui pensait les défier, lui et sa vingtaine d'hommes. Il n'y avait que des jeunes d'une vingtaine d'années au regard fatigué. Ses hommes allaient tout simplement les réduire en bouillie. Il fit encore deux pas, puis s'arrêta pour crier :

- Vous êtes tous morts et enterrés ! A quoi bon vous battre de toute façon ?

- Pour l'honneur !, rétorqua Jigoro. Et pour Hinano !

- Ah oui, cette catin que tu avais pour épouse.

- Pourquoi l'avoir condamnée ? L'avoir obligée à plaider la folie ?, questionna Takeshi.

- Cette petite catin n'a pas voulu de moi. Elle m'a repoussé devant toutes mes connaissances !

- Mais, il n'y a pas que cela, n'est-ce pas ? Il y a aussi la drogue..., insista le vieil homme.

- Vous êtes plus intelligent que je ne le pensais. Effectivement, cette petite fouine avait découvert où je cachais ma drogue. Elle aurait pu tout faire foirer. Imaginez ! Tout perdre pour une putain ! Jamais de la vie !

- Qu'avez-vous fait de son corps ?, siffla Jigoro.

- Je dirais que je ne m'en suis absolument pas préoccupé. Ils ont dû le brûler, le mettre aux fosses communes ! Dommage, j'avais besoin de prostituées de luxe ! La plupart des sans-papiers qui me viennent d'Afrique, d'Asie, d'Europe de l'Est et d'Amérique du Sud ne sont pas suffisamment cultivées...


- Il les provoque..., murmura Damien aux deux autres.

Rachelle avait commencé à enregistrer dès qu'ils s'étaient installés sur le toit du bâtiment. Rien de la conversation ne leur avait échappé. Avec cela, Bill O'Neil, qui avait déjà été de nombreuses fois soupçonné par la police, et n'avait jamais été arrêté, faute de preuves, ne s'en sortirait pas. La jeune femme avait proposé à Jigoro d'appeler la police dès qu'elle aurait les aveux du criminel, mais celui-ci avait refusé, ne faisant pas confiance aux autorités. De plus, il voulait la vengeance, la mort de cet homme. Il avait ordonné à ses élèves de le laisser y aller seul mais, ils avaient tous refusé, à l'unanimité ; ils lui devaient tout, y-compris leur vie. Ils se battraient pour lui jusqu'à la mort, et Jigoro n'avait pas réussi à leur faire comprendre qu'il ne voulait pas qu'ils se battent pour lui. Mais, ils avaient décidé qu'ils mourraient pour lui. Et, c'est ce qui allait se passer...


Tout à coup, ne tenant plus, Jigoro attaqua, suivi de ses élèves. Bill O'Neil envoya ses hommes. Ce fut une giclée de sang. Néanmoins, les élèves du dojo se battaient fièrement. Il se passa une heure sans que personne ne parvienne à gagner du terrain. Quelques hommes du juge s'étaient effondrés, morts. Soudain, Aimé, un élève de Jigoro, tomba, gravement blessé, et son Maître s'agenouilla auprès de lui. Il passa sa main derrière le crâne du jeune homme et celui-ci murmura :

- Je suis fier d'avoir été votre élève, Maître.

- Tais-toi, Aimé, tu perds ton sang.

- Non. Je ne me tairai pas, Maître. Je suis fier d'avoir combattu pour vous, et de mourir pour vous. Merci...

Les yeux du jeune homme se figèrent et Jigoro lui baisa le front avant de les fermer. Il chuchota :

- Sois en paix, fils d'Afrique. Je suis fier de t'avoir eu comme élève, Aimé.

Deux autres élèves prirent le corps d'Aimé et le ramenèrent près de leur bâtiment. Les jeunes élèves de Jigoro et les deux Maîtres furent profondément touchés de cette mort. Le combat redoubla. Plusieurs des hommes du juge tombèrent, mais ils demeuraient trop nombreux et armés pour les jeunes fatigués. Les élèves perdaient du terrain.


- Pourquoi n'appelons-nous pas la police ?, demanda Rachelle.

- Parce que les Maîtres sont trop fiers..., répondit Damien. Que Jigoro veut la mort du juge, et qu'ils sont persuadés que la police ne fera rien.

- Ne peut-on rien faire pour eux ?, insista-t-elle.

- Si, nous deux, on y va !, lança Rê à Damien.

- Je viens avec vous !

- Non. Toi, Rachelle, tu restes ici avec la caméra. Tu es le principal maillon de la chaîne avec cet enregistrement. Ne la quitte pas des yeux !, ordonna Rê.

- Faîtes attention à vous !, s'exclama la journaliste, avant d'ajouter, plus bas : Et à Jigoro...

Rê et Damien descendirent du bâtiment pour prendre leurs adversaires par derrière.


Bill O'Neil et ses hommes de main furent pris par surprise par les deux jeunes hommes, ce qui les déstabilisèrent quelques instants. Mais, ils retrouvèrent vite leurs sens et commencèrent à encercler le groupe de Takeshi. Il restait encore une quinzaine d'hommes au juge. En à peine trois heures, ses ennemis avaient mis hors d'état de nuire cinq des hommes de Bill O'Neil et celui-ci était bien obligé de s'avouer que cela l'impressionnait beaucoup. Dommage qu'il n'ait pas pu les avoir comme garde du corps ; le chintock avait vraiment bien travaillé, un seul de ses élèves sur cinq avait succombé, contre un quart de ses hommes.

Le juge regarda devant lui. Ses ennemis étaient à présent totalement encerclés mais, malgré cela, ils se battaient encore comme des diables, les plus impressionnants semblant être les deux Maîtres, Shinji, les deux nègres et la jeune Chinoise. Cette dernière rappelait à Bill O'Neil l'image d'Hinano. Elle était à mi-chemin entre son père et sa mère : ses yeux, son agressivité, son regard ténébreux venait du premier ; ses formes, sa taille et ses traits fins, de la deuxième. Elle aurait pu, elle-aussi, être une excellente poupée de luxe. Certes, elle aurait été dure à dresser mais, tel un cheval sauvage, il serait tout de même parvenu à lui mettre la bride.


Shinji observait leurs ennemis : ils étaient encerclés par eux. Il jeta un coup d'œil sur Ho Sang. Elle se battait fièrement pour son père et en souvenir de sa mère. Tout à coup, les attaques des hommes du juge cessèrent et celui-ci se détacha un peu de ses gorilles. C'est à ce moment-là que le jeune homme réalisa qu'un autre membre de leur groupe était tombé. Mais, il n'eut pas plus de temps pour réfléchir car tout, ensuite, passa très vite. Bill O'Neil prit son révolver et le pointa sur Ho Sang. Une détonation retentit. Shinji ferma les yeux. Il entendit hurler la jeune fille et les rouvrit. Elle était agenouillée auprès de son père, qui était couché par terre. Le jeune homme s'élança vers eux et vit que la balle avait atteint Jigoro à la cuisse. Il ne pouvait plus se battre et perdait beaucoup de sang.


Bill O'Neil ricana et hurla à l'intention de Ho Sang :

- Alors, le père admiré et invincible est tombé ! Une simple balle aura suffi. Tant de courage pour la vie de la fille d'une catin !


Shinji et Jigoro parlaient à la Chinoise mais, elle n'entendait pas. Elle n'écoutait pas. Un brouhaha lui venait aux oreilles. Ses yeux lui amenaient un paysage flou. Elle ne voyait qu'une seule chose : Bill O'Neil. Sa dernière phrase avait été de trop. Sa mère, une catin ! Il allait payer. Il allait payer pour la mort de sa mère, pour la blessure de son père... Il allait payer pour ses humiliations, pour tous les jeunes drogués qui étaient morts à cause de son trafic, pour les prostituées terrorisées... Il allait payer pour tout ça. La haine envahissait le cœur de Ho Sang. Ses larmes cessèrent de couler, son souffle devint instable. Elle posa son regard sur son père. Sa respiration était à présent rauque. Brusquement, elle leva ses yeux haineux vers le juge. Elle saisit le sabre de Jigoro et s'élança en courant vers Bill O'Neil.


Takeshi n'eut pas même le temps d'empêcher la jeune fille d'y aller : la rage et la haine guidait ses pas. Le Maître s'élança derrière elle, suivit des élèves restants, pour créer une diversion. Un autre élève de Jigoro tomba. C'était la fin.


Sur le toit du bâtiment, Rachelle assistait, impuissante, à la proche victoire du juge. Elle vit soudain que Ho Sang était presque à hauteur de l'homme et le défiait.

LóngOù les histoires vivent. Découvrez maintenant