ANDREA

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Sous la lumière à peine présente du ciel nocturne, Andrea avait l'impression de tout voir. Parce que dans la nuit, les yeux d'Andrea paraissaient tous les deux parfaitement noirs. Comme deux globes polis qu'on contemplerait avec soin. C'est pour ça qu'elle vivait la nuit. Et ça tombait bien, parce que Marcus aussi.

Ils étaient une bande de cinq et ils préféraient tous vivre la nuit parce que, dans le noir, on ne pouvait pas les distinguer des autres. Personne ne fixait Andrea dans les yeux comme en plein jour. Et ça, pour Andrea, c'était sa liberté. Alors elle l'avait proposé, ce voyage insensé. Au début, personne n'était vraiment partant, à part Marcus, mais seulement du bout des lèvres. Et puis Andrea a annoncé ce qu'ils attendaient tous.

- On ne voyagerait que la nuit. Après tout, les créatures nocturnes sont toujours les plus jolies.

Et même si Marcus, ça lui avait pas trop plu d'être comparé à une créature – ça lui arrivait trop souvent – il avait poussé les autres à accepter. Il ne savait pas s’il avait fait ça parce qu'il aimait l'idée ou parce qu'il aimait Andrea. Mais l'un allait avec l'autre, c'était comme ça.

A la tombée de la nuit, ils étaient montés dans le monospace de la mère de Sheryl. Aucun d'eux cinq n'avait son permis, mais c'était qu'un détail.

- On ira jusqu'au bout du monde s'il le faut. Parce que c'est ça, être soi. C'est s'accepter dans n'importe quel lieu, à n'importe quel moment, avec n'importe qui.

Andrea, elle aimait bien cette philosophie de vie, et ce n'est pas Aurore et ses tâches d'or qui diront le contraire. Par contre Sheryl, elle, semblait plus renfrognée à l'idée.

- Mes défauts me gâchent la vie et voilà qu'il faut que je les accepte. C'est comme si j'autorisai les gens à me persécuter.

- Pense autrement. Le but n'est pas d'accepter ses défauts directement, mais d'abord de les transformer en qualités.

Sheryl, elle n’était pas du genre à écouter les autres, à part Oscar peut-être, mais ça, c'est une autre histoire. Pourtant, elle n'avait pas contredit Andrea. Peut-être parce qu'Oscar avait renchérit avec une citation, un peu bidon :

- Si le monde entier te persécute, tu te dois de persécuter le monde.

Oscar, il aimait les citations, qu'elles viennent de Van Gogh ou du Roi Lion. Il ne trouvait jamais les mots, alors il apprenait ceux des autres. Andrea, elle aimait bien ça, elle trouvait ça sympa. Plus sympa que ses yeux.

Andrea, elle ne savait pas pourquoi, elle n’avait jamais aimé ses yeux. Les gens n'ont jamais aidé à lui faire changer d'idée. Il faut dire que les critiques permanentes et le mot "bizarre" venant dans chaque conversation n'étaient pas encourageant. Alors Andrea, elle avait compris que la seule personne qui pourrait la changer, c'est elle-même.

La nuit d’après, comme une habitude bizarre prise au hasard, Andrea s'amusait avec son briquet. Et dans le noir de la nuit, cette lumière semblait tout éclairer. C'est peut-être pour ça que Marcus avait rejoint Andrea.

Elle ne savait pas trop si elle l'écoutait parce qu'elle le trouvait beau ou si c'était parce qu'il la trouvait belle. Et si c'était ça, alors ça voulait tout dire. Parce que si quelqu'un voyait Andrea autrement que comme les autres la voient, alors Andrea, elle pensait que cette personne était spéciale. Peut-être un peu. Peut-être pas. Au final, elle ne savait pas.

Mais Marcus, lui, il savait tout ça. Il savait qu'Andrea était belle, malgré tout ce qu'elle pouvait en dire. Et il savait qu'il aurait lui aussi aimé avoir les yeux vairons, à la place de sa jambe et ses boulons. Parce que même si son défaut ne se voyait pas comme ça, Marcus, il ne l'aimait pas.

Défaut. C'était d'ailleurs un bien grand mot, utilisé à outrance par lui, mais surtout par les autres. Au début, il n'y avait pas pensé, que ça puisse dans ce sens-là l'handicaper. Mais avec les autres et leur regard perçant, tout était devenu assez vite déstabilisant.

Mais le regard d'Andrea, lui, disait autre chose. Il semblait crier "ne me faites pas de mal", mais en même temps dire "je suis plus fort que vous". C'était comme ça, ça ne changerait sûrement pas. Et Marcus trouvait ça beau. D'ailleurs, il ne s'était pas gêné pour le dire à Andrea

- Bowie aurait été jaloux de tes yeux. Les siens n'étaient pas vrais, du moins pas comme toi.

Andrea,  elle n’avait pas trop compris tout ça, mais elle adorait qu'on la compare à Ziggy Stardust. C'était toujours gratifiant, comme si, le temps d'un instant, elle avait pu toucher les étoiles. Et comme elle était contente du compliment de Marcus, elle avait souri. En coin, certes, mais quand on connaissait Andrea, on savait que c'était un grand pas.

Et Aurore, elle avait remarqué ça, parce qu’Aurore, elle connaissait bien Andrea. Elle l'avait observée ces derniers temps. Aurore trouvait qu'Andrea était fascinante et c'était tout à son honneur. Aurore, c'était celle qui s'aimait dans le noir, mais qui aimait les gens de la lumière, comme Andrea. Mais ça ne l'empêchait pas de rêver plus que ça.

Pendant plusieurs minutes, il n'y avait pas eu d'autres bruits que celui du briquet d'Andrea. Pas même la respiration saccadée de Marcus.

Et puis, venant rompre tout ça, Marcus il s'était levé. Il s'était levé, il avait prit la main d'Andrea dans la sienne et lui avait dit une simple phrase qui allait sûrement tout changer.

- Viens, on va retrouver nos êtres de qualité, pour former notre constellation pentagonale.

Alors, ils avaient rejoint Oscar, Sheryl et Aurore, pour se lancer dans quelque chose d'inconnu. Quelque chose qui ne mènera peut-être à rien, mais peut-être pas.

Personne ne savait pourquoi ni comment Andrea avait pensé à ça, à ce voyage. Pas même Andrea. Pourtant, ils étaient tous partis, d'un coup d'un seul. Et ils devaient bien avouer qu'ils aimaient bien l'idée.

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