SHERYL

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Sheryl, c'était celle qu'avait un trou dans le cœur et la tête en vrac. Elle pensait trop. À tout. Surtout au passé. Et puis, il y avait cette peur, grandissant de jour en en jour au fond d'elle-même. Elle la sentait, comme un glaçon qui refusait de fondre.

Elle l'avait toujours ressenti comme ça, le manque. Il n'y avait pas un jour sans que son père ne lui manque. Et il n'y avait pas un jour sans que la peur de le rejoindre grandisse en elle.

Entre ses souvenirs embués, il y en avait des nets. La course poursuite dans le large couloir de la grande maison. Les histoires racontées seulement à la nuit tombée. Mais aussi, et surtout, le rire grave qui résonnait si souvent dans les tympans de Sheryl. Et encore maintenant.

Elle était irrattrapable, elle et ses stries infinis. Du moins, c'est ce qu'elle avait toujours pensé et ce que tout le monde lui avait toujours répété. "Plus personne ne peut te venir en aide à présent." C'est ce qu'ils disaient tous, autour d'elle. Qu'ils crient ou qu'ils murmurent, elle les entendait. Même la nuit, dans son sommeil, la lune lui rapportait les mots des autres.

Et puis Oscar était arrivé et avait tout chamboulé, avec ses doigts de peintre et ses citations.

La première fois qu'elle avait vu Oscar, Sheryl elle s'était simplement dit que c'était un gars cultivé ou qui faisait semblant de l'être. Il aimait citer les autres pour montrer qu'il les connaissait. Mais maintenant que Sheryl connaissait Oscar, elle se rendait compte que c'était bien plus que ça. Oui, il avait de la culture, il ne faisait pas semblant. Mais si Oscar répétait les mots des autres, ce n'était nullement pour se vanter de les savoir. C'était purement et simplement parce qu'il n'arrivait pas à trouver les siens. Et, bien que triste, Sheryl trouvait ça beau.

Alors elle avait voulu l'aider. À se trouver et s'accepter. Elle avait voulu l'aider, mais sans même s’en rendre compte, elle l'avait aimé. Plus fort encore qu'elle n'avait jamais aimé personne, pas même son père.

Et puis Oscar en avait parlé et, à ce moment-là, tout avait changé. Parce que pour la première fois de sa vie, Sheryl s'était confiée.

- Il était grand. Ou du moins, assez pour attraper le chocolat dans le placard du haut. Et puis, du jour au lendemain, il est mort. À cinq ans, je ne savais pas ce que c'était que la mort. Alors quand on l’a enterré, j'ai hurlé pour le voir. Pour lui parler une dernière fois. J'avais peur. Beaucoup m'ont dit que ça allait passer. Que, quand je comprendrais, tout irait mieux. La vérité, c'est que depuis ce jour, tout a empiré. Oui, j'ai arrêté d'avoir peur. Mais j'ai commencé à être effrayée. Oui, j'ai arrêté de pleurer. Mais j'ai commencé à hurler. Et oui, j'ai arrêté d'y penser. Mais pas une seule fois, j'ai oublié.

Oscar n'avait rien dit. Et même si dans sa tête, beaucoup de citations sur le réconfort lui venaient, il n'en a pas soufflé un mot. Parce que Sheryl était spéciale et qu'aucun mot n'aurait pu la réconforter. Alors Oscar il a juste ouvert ses bras et, naturellement, Sheryl est venue s'y lover.

À partir de là, tout a changé. Pas seulement pour Oscar, qui commençait à trouver les mots, mais aussi pour Sheryl. Parce que même si avoir partagé son histoire lui avait fait du bien, elle ne pouvait arrêter de penser qu'une personne de plus avait les moyens de la briser.

Alors pour calmer le jeu et ses pensées, Sheryl avait commencé à dessiner. Elle se souvient que, petite, elle aimait jouer aux points à relier avec son père. Alors quand elle avait vu la peau d'Oscar, ça lui était apparu comme une évidence.

Elle avait trouvé un stylo noir au fond de sa poche. L'encre était encore liquide et elle s'était demandée pourquoi il n'était pas devenu sec depuis le temps. Mais peu importait. Elle avait pris ce stylo et avait commencé à tracer des traits maladroits sur la peau d'Oscar.

La peau d'Oscar, c'était une carte de constellations ambulante. Déjà quatre jours qu'ils étaient sur la route et on pouvait déjà voir les traits de crayon reliant chaque point. Enfin, pas chaque points, parce que sinon ça aurait fait trop chargé. Ça, c'est ce que disait Sheryl. Et si Oscar n'aimait pas ses tâches, Sheryl, c'est ce qu'elle préférait chez lui. C'est peut-être pour ça qu'il l'a aimé dès qu'il l'a regardé. Elle aimait la partie de lui que personne n'aimait, pas même lui.

Sheryl elle en connaissait un rayon, des constellations. Et c'est pour ça qu'Oscar l'avait laissé relier. Il avait peu de connaissances en la matière, mais avait quand même réussi à reconnaître la Grande Ours et Cassiopée. Mais celle que Sheryl préférait, c'était celle de la Lyre. Parce que de la mythologie, Orphée aurait été à Oscar le personnage le plus adapté. Prêt à tout pour la sauver. Et se sauver.

Sheryl, elle se sentait moins bien. Elle n'en avait jamais douté, si Oscar l'avait vu nue, il ne se serait jamais retourné.

Ce soir, le ciel était clair et la lune, dégagée.

- C'est marrant, la constellation de la Lyre sur Oscar. Je l'ai toujours cru comme Orphée, à vouloir vérifier que personne ne l'arnaque. Toujours regarder derrière même si ça signifie tout perdre.

- Si là sont ses seuls points communs avec Orphée, alors soit. Qu'il regarde en arrière. Mais s'il regarde au mauvais moment, je ne veux pas qu'il finisse du même bord.

- Oh. Un problème avec ça ?

- Absolument pas. Je t'ai vu regarder Andrea, c'était beau. Je te demanderai juste de ne pas la perdre, si un jour, elle est à toi. Ça pourrait vous être fatal à toutes les deux.

Et c'est comme ça qu'Aurore et Sheryl avaient discuté de constellations et de condamnés jusqu'au bout de la nuit. Ou du moins, jusqu'à ce qu'Andrea débarque avec son gloss à paillettes.

De peur d'être démasquée, Aurore avait laissé les deux filles seules. Mais ce qu'elle ignorait, c'est que de là étaient nés de nouveaux sentiments. Au lieu de se dévoiler, Aurore était maintenant jalouse. Et Andrea, contre toute attente - même la sienne - était peinée.

- Ton gloss, c'est pour quoi ?

Andrea aurait voulu dire à Sheryl que c'était pour que sa bouche soit plus apte à être embrassée, mais elle ne savait plus par qui. Et puis, Andrea elle ne mettait jamais de gloss. Alors elle avait improvisé une réponse. Ou peut-être était-ce médité.

- Pour tes jambes. Je sais pourquoi tu ne les aimes pas, beaucoup ont ce problème là. Mais moi, je te trouve belle comme tu es. Et je me suis dit que je pourrais mettre des paillettes pour égailler le tout et t'aider à t'aimer.

Au début, Sheryl avait été réticente. Elle n'aimait vraiment pas que quelqu'un voie ses jambes. Surtout ses cuisses.

Finalement, c'était Oscar qui l'avait convaincue, mais seulement la nuit d'après. Alors que les mots et le projet d'Andrea étaient restés en suspend, Oscar était intervenu. Et alors, Sheryl avait changé de point de vue. D'un coup, elle avait ressenti autre chose en elle. Comme une grosse étoile dégageant une forte chaleur qui faisait fondre son glaçon de peur.

Andrea était toute seule, assise dans le noir, jouant avec un briquet et un brin d'herbe.

- Tu fumes ?

- Pas le moins du monde. Je garde ce briquet dans l'espoir qu'un jour quelqu'un me demande du feu.

Sheryl trouvait ça étrange, mais cohérent quand on connaissait Andrea.

Et puis tout s'était enchaîné. À un moment, Sheryl se questionnait et, le moment d'après, Andrea étalait ses paillettes. Elle aurait voulu avoir de simples paillettes, qui ne collent pas autant que le gloss. Mais elle faisait avec les moyens du bord. Et Sheryl aimait ça.

Puis, encore sans rien dire, Sheryl était allée voir Oscar et sa constellation de la Lyre. En la voyant arriver, il s'était éloigné, l'invitant à le suivre. Cependant, heureusement que Perséphone n’était pas dans le coin, parce que même s'il était sûr de lui et des intentions de Sheryl, il n'avait pas résisté au fait de se retourner pour vérifier que, derrière lui, suivait sa bien-aimée.

STELLOGENÈSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant