MARCUS

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Marcus, c'était n'a-qu'une-jambe, c'était le « little do you know » de tous ceux qui n'avaient rien à dire. Marcus il était comme Amphitrite et parlait par énigmes. Le jour, on avait du mal à le distinguer, il était éteint. Dans le noir, on le distinguait mal, il se fondait avec les étoiles.

Marcus, c'était le gars qui aidait tout le monde, sauf lui-même. Il aimait voir Aurore maquiller Andrea, voir Oscar avec ses traits et Sheryl avec ses paillettes. Et bien sûr, il adorait voir ses soleils sur la peau d'Aurore. C'était comme ça. Mais jamais il n'avait aimé sa jambe, ou peut-être juste un peu, depuis qu'Oscar l'avait gribouillé avec ses reproductions et ses grains de beauté.

Autour de l'articulation, la peinture était rayée, parfois même effacée. Mais ça, Marcus, il s'en fichait parce que, au fond de lui, il savait que la créativité d’Oscar, c'était plus que quelques points peints sur une jambe en plastique.

Et c'est quand il était en train de jouer avec la peinture écaillée qu'Andrea était arrivée.

- Je ne suis pas sûre qu'Oscar soit d'accord avec ça. En quelque sorte, tu détruis sa création. Et même si toi, tu penses t'amuser, il faudrait aussi considérer le fait que ça puisse blesser d'autres personnes, ce que tu fais.

Marcus il aimait bien Andrea et sa façon de voir les choses. Prendre tout le monde en considération. Mais parfois, elle parlait trop. Ça n’agaçait pas Marcus, mais ça l'irritait. Il n'aimait pas trop discuter et entendre Andrea jacasser tout le temps avait le dont de le mettre en rogne.

Mais cette fois-ci, il n'avait rien dit. Il s'était contenté de la regarder, se demandant si Oscar serait réellement blessé à l'idée de savoir que Marcus grattait sa peinture. Ce n'est pas comme s'il avait prévu de la garder toute sa vie non plus.

Comme Marcus ne disait rien, Andrea gigotait. Elle n'aimait pas le silence, et encore moins celui de Marcus.

Mais, pour la première fois de sa vie, Aurore ne savait plus quoi dire. Alors, même si ça semblait être une mauvaise idée, Andrea s'était penchée pour embrasser Marcus.

Dès que leurs lèvres étaient entrées en contact, Andrea avait senti que ça n'allait pas. Et c'était sûrement à cause d'elle et sa règle d'or. Celle de toujours considérer les autres. Parce que, cette fois-ci, elle ne l'avait pas prise en compte. Alors à aucun moment elle n'aurait pu penser que ce geste pouvait gêner Marcus et blesser Aurore, qui les observait du coin de l'œil.

Ça n’avait duré qu’une seconde. Deux, tout au plus. Et puis Marcus s'était reculé. Il regardait Andrea d'une drôle de manière. Il ne la regardait pas comme s'il disait "je n'avais pas envie de faire ça", mais plus comme "pourquoi as-tu eu envie de faire ça ?". Parce que pour Marcus, c'était évident, seule Aurore était faite pour Andrea.

La nuit d'avant, Marcus avait bien vu comment Aurore avait frissonné en entendant le prénom d'Andrea. Et il ne voulait pas la trahir, elle et ses petits soleils.

- Je suis désolé.

Une bafouille plutôt qu'une phrase. Mais c'était quelque chose. Quelque chose d'horrible à dire et à entendre, Marcus le savait. Mais si Marcus savait autre chose, c'est qu'Andrea n'était pas faite pour lui. Et elle remarquerait un jour, elle aussi, que lorsqu’Aurore peint ses yeux, elle a une envie irrésistible de bouffer ses lèvres.

Peut- être s'en était-elle déjà rendue compte. Peut- être pas. Mais Marcus était content de lui, parce qu'il avait appliqué la règle d'or d'Andrea. Il avait pris les autres en compte et les avait inclus dans l'équation. Il avait pensé à Aurore avant lui-même, et c'était tant mieux. Parce que si Aurore n'avait pas aimé Andrea, peut-être que Marcus aurait fait semblant de l'aimer. Peut-être qu'il aurait essayé de se convaincre que ses sentiments étaient vrais. Et ça ne lui plaisait pas. Ça ne lui plaisait pas que, dans un élan de gentillesse, il aurait pu faire croire à Andrea qu'il l'aimait vraiment, alors que ce n'était certainement pas le cas. Du moins, pas comme Aurore aimait Andrea.

Alors il avait été content d'avoir pris Aurore en considération. De l’avoir ajoutée à l'équation. Ça lui avait évité de faire la pire connerie de sa vie. Celle qui aurait pu être fatale à bien des cœurs.

Dans son silence et son regard pour Andrea, Marcus avait réussi à briser le malaise qui s'était trop vite installé. Très vite, les deux jeunes avaient oublié ce baiser et l'avaient archivé. Ce n'était pas le cas d'Aurore. Mais quand elle comprendrait le pourquoi du comment, quand Andrea lui expliquerait, alors elle aussi, elle oublierait tout ça. Et, comme Marcus, elle ne se souviendrait que de la suite.

Parce qu'après ça, Marcus s'était levé et avait pris la main d'Andrea, juste le temps qu'elle se mette debout également. Côte à côte, ils avaient marché vers les trois autres naufragés de leur navire. Peut-être même qu'Andrea s'était mise juste à côté d'Aurore. Peut-être même qu'elle lui avait frôlé la main. Et peut-être même qu'en regardant Sheryl et Oscar, elle s'était imaginée vivre une histoire comme ça avec Aurore. Au moins une fois. Et peut-être même qu’Aurore était d’accord avec ça et que c’était pour ça qu’elle tenait dans sa main une cigarette, mais n’avait pas de briquet.

Ils se préoccupaient tous du sort des uns et des autres. Chacun avait tendu la main à quelqu'un, qui avait tendu la main à un autre. Andrea avait souri. Elle s'était rendue compte que son idée de départ était, en fait, bonne. Même Sheryl aurait consenti à le dire, si on le lui avait demandé.

Ils avaient l'air beaux, comme ça. L'une avec ses yeux de paon, l'autre avec ses points reliés, la troisième avec ses paillettes, l'avant-dernière avec ses soleils et le cinquième avec ses grains de beauté. "On a l'air beaux, comme ça." C'est ce que Marcus s'était dit. Et s'ils avaient l'air beaux, c'est simplement et purement parce qu'ils l'étaient.

Pour Marcus, c'était une évidence. Andrea, Oscar, Sheryl et Aurore étaient des êtres de qualité. Et lui aussi, au fond. Marcus il n'aimait pas penser qu'il était beau, même sans pantalon. Quelques jours plus tôt, il aurait trouvé ça narcissique. Mais Marcus il avait été aidé par les quatre êtres de qualité qu'étaient ses amis. Marcus il avait alors compris que 1+1 = 2 et qu'en aucune cas se trouver beau = narcissisme. Marcus il avait compris les pièges et les subtilités imposés par la société. Il avait compris qu'il était beau, tout comme sa jambe, qu'elle soit Van Gogh ou Picasso. Marcus il avait compris qu'il pouvait - et devait même sans obligation - monter sur le toit de la voiture de Sheryl et crier au ciel qu'il était beau. En fait, Marcus il s'était enfin accepté. Lui. Et sa jambe. Qu'elle soit Warhol, Manet ou Oscar.

Ils étaient cinq. Partis sur un coup de tête et de pied au cul. Ils y croyaient, ou peut-être pas, mais ce qui était sûr, c'est qu'aujourd'hui, cinq étoiles en plus brillaient dans le ciel. Pas directement dans les cieux, mais par réflexion de la Terre. Les yeux, les points, les stries, les tâches et les vis. Les paons, les traits, les paillettes, les soleils et les peintures. Ils brillaient tellement fort que le soleil en était devenu aveugle. Ils brillaient tellement fort qu'on aurait pu croire que c'était la naissance de nouvelles choses. La naissance des étoiles.

STELLOGENÈSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant