OSCAR

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Ils s'étaient arrêtés dans une station essence les mains dans les poches et l'estomac dans les talons. Oscar, lui, avait le cœur au bord des lèvres. La route l'avait rendu nauséeux et bougon. Mais c'était sans compter sur Marcus. Oscar il ne comprenait pas trop pourquoi mais Marcus avait un quelque chose en plus. Enfin, quelque chose d'autre qu'un tibia en métal. C'était un je-ne-sais-quoi qui rendait les gens à l'aise. Sachant alors pertinemment qu'il avait besoin de se changer les idées, Oscar, il s'était dirigé vers Marcus, assis sur le capot de la voiture.

- Souvent, il me semble que la nuit est encore plus richement colorée que le jour.

Marcus l'avait regardé en coins, sans le juger. Il attendait la suite.

- C'est ce que Van Gogh a écrit à sa sœur dans une lettre. Un an avant de peindre la Nuit Étoilée. Il était connu pour ses peintures et ses maux, mais pas pour ses mots.

Marcus avait compris la subtilité des mots d'Oscar pour décrire les maux de son âme. Il ne savait pas trop où Oscar voulait en venir et ça, ce dernier l'avait remarqué. Mais il s'en fichait pas mal que Marcus comprenne ou pas, ce qu'il voulait, c'était parler. De sa passion, de l'odeur de l'acrylique, de la gouache et de l'huile. Alors il avait continué à parler à Marcus, de manière plus distincte.

- J'adore la peinture. Putain non, j'aime ça ! C'est foutrement pas la même chose, aimer et adorer. Quand on adore une fleur, on la cueille. Quand on aime une fleur, on l'arrose tous les jours.

- Van Gogh ?

- Bouddha. Mais là n'est pas la question. Le fait est que j'aime peindre et j'aimerais toujours ça. Comme mes tâches de rousseur, c'est une part de moi. Tu me donnes un support, un peu d'eau, de quoi peindre et un pinceau, je te fais une œuvre d'art. Je sais reproduire du Van Gogh, du Picasso, du Warhol et même du Manet.

Sans dire un mot, Marcus était descendu du capot. Il s'était dirigé vers le coffre et en avait sorti une mallette. Puis, toujours sans rien dire, il était retourné s'asseoir à sa place initiale, avait remonté son pantalon et avait regardé Oscar dans les yeux.

- Une part de moi m'aime en intégralité. Mais l'intégralité de moi ne s'aime pas.

- Oscar Wilde ?

- Non, moi. Tu vois Oscar, c'est ça ton problème. T'es bougon, peut-être, mais c'est en toi. T'es artiste, c'est en toi aussi, de la même manière. Ton problème, c'est que tu n'exploites pas assez ton potentiel. Si je te demande de peindre la Nuit Étoilée sur ma jambe, tu vas le faire. Et je suis sûr que ce sera fait à la perfection parce que tu connais le moindre mouvement de pinceau de ce tableau. Mais si je te demande de faire du Oscar, qu’est-ce que tu vas me proposer ?

- Je ne sais pas si tu t'y connais bien en peinture Marcus, on s'est peut-être mal compris. Mais Oscar Wilde, c’était un écrivain, pas un peintre.

- Tu regardes trop vers l'extérieur, pense à l'intérieur un peu. Je suis persuadé que tu connais sur le bout des doigts les œuvres de Picasso et Warhol. Mais ce que je veux, c'est toi, qu’est-ce qui émane de toi ? Si tu devais créer quelque chose par toi-même, sans reproduire ce que d'autres ont fait, ça donnerait quoi ? J'aimerais que tu peignes du Oscar. Toi, Oscar.

Seulement, cette nuit-là, Oscar s'était contenté de copier Van Gogh, sous l'éclairage tremblotant du néon de la station essence.

La journée qui avait suivi, Oscar n'avait pas dormi. Se tournant encore et encore, il n'avait pas réussi à fermer l'œil, ressassant en boucle les paroles de Marcus. Alors, quand la nuit était tombée et qu'ils avaient repris la route, Oscar avait pris soin de s'asseoir à côté de Marcus.

- Je ne me connais pas assez pour affirmer avoir trouvé ma patte, mais je pense que, sur ta jambe, je peux faire du Oscar.

Marcus n'avait rien dit, mais il avait souri. Et Oscar avait compris que ça voulait dire oui. Alors il avait nettoyé tout vestige de la Nuit Étoilée sur la jambe de Marcus et avait commencé, sans réfléchir.

Quelques dizaines de minutes plus tard, Oscar avait de la peinture plein les doigts. Ça l'avait rendu un peu bougon, mais il avait retrouvé un semblant de sourire quand Marcus lui avait dit que ça en valait la peine. Parce que sur la jambe de Marcus, plus rien ne faisait penser à Van Gogh. Mais absolument tout rappelait Oscar.

Dans un mélange de beiges, oranges et marrons, Oscar avait réussi à peindre des tâches de rousseur en constellations. Et Oscar était si doué que la jambe de Marcus, on aurait dit une vraie. La pigmentation de la peau était parfaite, si bien que Marcus avait été époustouflé. Et ça, Oscar, ça lui a fait chaud au cœur, parce que jamais il n'avait vu Marcus aussi bluffé.

Et puis, il avait vu Sheryl s'approcher. Il l'avait entendue le complimenter. Et alors Oscar, il s'était senti comblé. Mais par dessus tout, il s'était demandé pourquoi et comment Sheryl lui faisait cet effet. Alors il l'avait embrassé.
 

Oscar, il était souvent bougon et songeur. Mais surtout Oscar, il faisait tout ce qui lui passait par la tête, même si, après réflexion, ça ressemblait plus à une mauvaise qu'à une bonne idée.

Le pire dans tout ça c'est que, ce baiser, Sheryl, elle l'avait adoré. Alors Marcus, il s'était contenté de reculer, sans rien ajouter. Il avait fini ce qu'il s'était promis. Aider Oscar à s'accepter. Peut être bien qu'Oscar ne s'était pas complètement accepté, mais si Marcus était sûr d'une chose, c'est que ce n'était plus à lui de s'en soucier.

Oscar et Sheryl avaient passé le reste de la nuit à rire, discuter, mais surtout s'embrasser. Et puis le soleil avait pointé le bout de son nez. Alors Oscar, Sheryl et les autres étaient partis se coucher sans savoir ce que la nuit d'après pouvait leur réserver.

STELLOGENÈSEWhere stories live. Discover now