L'elfe des bois

Partie 1 - 2

          La jeune femme s'élança dans les bois, à la fois apaisée et le cœur à vif. La voix douce de l'aïeule fonctionnait sur elle comme une compresse rafraîchissante, elle avait le pouvoir de panser ses plaies les plus douloureuses. Mais elle se rendait compte qu'elle était livrée à elle-même, maintenant que ceux qui tentaient d'accomplir l'Union s'étaient rétractés. Elle resterait seule dans les bois les plus denses, mais aussi les plus proches des Grisages. Elle n'avait pas peur, mais son esprit menaçait d'être englouti par la haine vive qu'elle éprouvait. Or, ses camarades l'aidaient à ne pas sombrer dans les émotions négatives, notamment parce que Wei ressentait les vagues de colère des autres, cette houle qui s'échouait contre les parois de leurs crânes.

          Elle chassa les pensées parasites et se concentra sur sa foulée, sa respiration maîtrisée, les branches qui caressaient ses bras nus. Elle martelait le sol à une allure régulière, ressentait les vibrations de la terre se propager le long de ses jambes pour ne former qu'un avec son être. La nuit s'estompait sur le même rythme que ses foulées puissantes, un rayon de soleil timide dévalait la cime des arbres de plus en plus denses.

          Bientôt, la forêt se para d'un voile de clarté dorée qui faisait scintiller la rosée des feuilles dont le vert tendre se dévoilait peu à peu. Les bois chatoyaient tandis que la lune s'évanouissait dans le ciel de plus en plus clair. La vision de Tauri fut soudain envahie d'un pétillement qui se répandait dans l'atmosphère, la nature s'éveillait, s'emparait de l'espace et bruissait doucement au rythme du vent redevenu calme. Elle observait le monde qu'elle connaissait si bien et dont elle était une composante s'animer, les rayons du soleil percer la couverture des feuilles pour les saupoudrer d'ombres. La lumière ambrée mettait en avant l'humidité qui habillait les buissons, les faisant resplendir dans les parties les plus ténébreuses des bois.

          Elle courut longtemps afin de fatiguer son corps, poursuivant l'entraînement qu'elle suivait depuis son départ de l'Arbre. Ses muscles étaient aiguisés par les efforts qu'elle fournissait, et la course dans les sous-bois était devenue un exercice facile, pour lequel elle s'astreignait à un silence le plus total. Pas de bruit, peu de traces, une attention redoublée sur ce qui l'entourait.

          Tout à coup, elle perçut un craquement sur sa droite. Elle s'immobilisa, laissant échapper un souffle étonné, qu'elle ravala aussitôt. Elle n'avait jamais croisé quelqu'un dans cette partie-là de la forêt, qui était très reculée du territoire des Grisages comme de l'Arbre. Elle sentait son cœur battre dans ses tempes, et elle s'évertua à calmer son souffle qui commençait à s'emballer pour pouvoir écouter.

          Un deuxième craquement, plus proche cette fois.

          Tauri se mit en mouvement et se dirigea vers la pénombre, s'adossa à un tronc pour se fondre dans l'écorce qui rappelait la teinte de sa peau. Elle observait les mouvements des branches autour d'elle, restait à l'affut du moindre chant discordant provenant des oiseaux. Lorsqu'un souffle lui parvint, elle s'empara d'une branche, et, en prenant appui sur le tronc, elle sauta sur la branche la plus basse. Ses mouvements étaient précis, ses muscles tendus par l'attente et l'effort. Elle disparut dans le feuillage de l'arbre en quelques secondes, invisible et silencieuse.

          C'est alors qu'un éclat la frappa en plein œil, reflété par la surface d'un étang qu'elle n'avait jamais vu. Elle réalisa qu'elle était bien plus loin qu'elle ne l'avait d'abord pensé. Mais une silhouette retint subitement son attention, alors qu'elle commençait à se détendre. En pleine lumière, elle semblait concentrer tous les rayons du soleil dans sa chevelure de feu, rendant sa peau diaphane presque transparente, tant le halo qui l'entourait était éblouissant. Tauri retint son souffle face à l'apparition qui dépassa la lisière pour s'immerger progressivement dans l'eau claire.