Le paradis gâché

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Les journaux, internet, tout ne parlait plus que de cette nouvelle. Elle s'est répandue comme une traînée de poudre. Dieu, le seul, l'unique, nous autorise, nous humains, à accéder au paradis le temps de quelques heures... L'information avait bien circulé, et les conditions aussi : seule une poignée, ceux qui réussiront à trouver l'entrée, pourra jouir de ce privilège divin. Si on était intelligent, chanceux ou comme moi aidé par un groupe d'amis avec qui l'on partage toutes les informations sur de possibles portes vers le paradis, alors on pouvait vivre la meilleure journée de notre existence d'être humain. 

C'est ainsi donc que j'ai réussi à trouver une des entrées. J'ai, par inadvertance, trébuché sur un tableau, une toile posée dans un coin de rue dont on avait eu des informations avec mes amis. J'ai trébuché, et je me suis enfoncée dans le tableau. Une fois de l'autre côté, je découvre une sorte de hall où se trouve des centaines d'autres personnes. A ma droite, je vois une baie vitrée qui fait l'entièreté du mur, d'où l'on peut voir ce qui se passe sur Terre. A ma gauche, le mur est orné d'une gigantesque porte dorée qui est fermée. Une voix - non ce n'est pas Dieu je le sens, sûrement l'un de ses anges - nous explique que l'on a droit à une journée divine dans cet endroit. Une journée divine, c'est vingt-quatre heures en ressenti, mais des années sur Terre. Je sens l'excitation monter. Je vais accéder au paradis...

Les grandes portes s'ouvrent sur le plus beau paysage qu'il m'est été donné de voir. Je m'avance, et je foule de mes chaussures une herbe qui sur Terre n'aurait jamais pu être aussi verte. Le ciel est d'un bleu qu'aucun nuage ne vient perturber. Pas si loin, un lac, dont l'eau est pure, potable, tout à fait transparente. L'air que je respire sent bon et ses caresses me rafraichissent la nuque. Je défais mes chaussures pour pouvoir courir pieds nus dans l'herbe si verte. En me penchant, je découvre comme des bouts d'ossements à moitié découverts par la terre. Certains en avaient même déterrés pour s'amuser avec et se les lancer entre eux.

Une fois déchaussée, j'en profite pour aller me baigner. Durant toute la journée, j'ai pu voir les humains autour de moi profiter entièrement de cet espace vierge dans l'allégresse la plus totale. Nous avons même découvert au paradis des capacités étonnantes. Ceux qui sont allés se baigner s'amusaient avec l'eau et pouvaient même la contrôler ! Les ossements quant à eux, étaient lancés avec plus de force que le plus fort de tous les humains terrestres.

Quel bonheur...

Le soir arrive vite et au moment de partir on ne laisse du paradis que des cendres, des flammes et de la mort. L'herbe a été brûlée, l'eau du lac est souillée, le ciel est devenu noir de nuages, des cadavres humains et animaux sont ça et là dispersés, et leur sang avec. Pourtant, le sentiment qui nous emplit tous en quittant cet endroit, c'est la sérénité, l'heureuse sensation de fatigue après une journée à s'amuser.

Je sors parmi les dernières et nous ne sommes plus que trois humains dans ce hall que nous avons traversés à l'arrivée. Quand nous faisons face à la baie vitrée qui donne sur la Terre, une chose nous glace le sang : à travers elle, nous apercevons des morts-vivants, des zombies... Une Terre en sang.

Je me retourne une dernière fois vers le paradis détruit dont les portes se referment. C'est alors que j'y vois les mains d'un homme qui peine à les repousser pour accéder au hall. Les deux hommes avec qui je suis et moi-même rouvrons en usant de toute notre force afin de le laisser passer. Il entre alors.

C'est un vieil homme, que je n'ai pas l'impression d'avoir vu lors de la journée divine. Ses ailes se déploient alors dans son dos et je comprends que c'est en réalité un ange. Cela semble faire paniquer l'un des deux hommes avec qui je suis puisqu'il tente de faire rentrer les ailes de l'ange sous la veste qu'il porte, et la seconde d'après sort un couteau qu'il lui met sous la gorge en nous prévenant sur le ton de l'urgence qu'il s'agit... d'un ange. Je suis dans l'incompréhension totale. Je vois bien que c'est un ange ! Et alors ?

En voyant mon visage sans doute très confus, l'ange - qui n'a pas l'air d'être surpris de la réaction de celui qui le menace, ni très effrayé - me lance alors : "Attendez... Vous ne connaissez pas la volonté de Dieu ?".

Et je comprends.

Je comprends en voyant la Terre, que Dieu ne voulait que la destruction, la mort et la souffrance, Il ne voulait que ce que l'on avait fait pendant la journée dans ce paradis détruit. Il cherchait la vengeance. 

Mais ce n'est pas ce qu'on voulait nous ! Certes, on avait détruit le paradis, mais c'était pour s'amuser, on ne voulait pas que l'humanité soit détruite aussi ! Si on avais su, on aurait fait différemment...

Puis je comprends une seconde fois.

Les ossements, trouvés au paradis. L'herbe, si verte, n'avait pu exister que grâce à une destruction antérieure, dont les cendres avaient sans doute nourri la terre divine. Je comprends que ce n'est pas la première fois que ce paradis est détruit.

Je fais dos à la créature divine, me mets à courir pour tenter de m'enfuir. Le troisième homme qui était avec nous semble aussi avoir compris, car je le vois sortir un pistolet de sa poche. Je le dépasse... Et j'entends dans mon dos le bruit d'une balle qui vise un ange.

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⏰ Last updated: May 09, 2021 ⏰

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Les histoires dans mes yeux - Journal de rêvesWhere stories live. Discover now