Libre

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Je suis une femme mariée - l'honneur de ma famille m'y oblige - à un homme certes riche comme le voulait mon père, mais également laid, et cruel. Ce mariage est un désastre et chaque jour je porte ma peine. Si je ne fais pas ce qu'il veut, il me frappe. 

Il accepte parfois que nous nous battions en duel. C'est un événement tout à fait légal et accepté dans notre pays. Lors d'un duel, il y a des témoins, et chacun des opposants a pour seule arme et seul rempart une barre de fer. Chaque fois qu'il m'en autorise un, notre marché est toujours le même. Si j'arrive à l'assommer et le mettre à terre plus de dix secondes, alors je brise le mariage, je retourne auprès de ma famille, et lui subit le déshonneur de sa personne et de son nom. 

Je n'ai jamais réussi malgré son corps faible et gras, car il se fait toujours le plaisir d'accepter un duel après m'avoir fortement battue. Jamais il n'accepte quand je suis en pleine possession de mes moyens. Il m'affaiblit sans cesse pour être sûr de gagner et ce n'est pour lui qu'un moyen de me blesser en m'offrant un espoir vain de le battre.

Ce soir, il me bat encore. J'étais de corvée de courses, seul moment où j'étais un peu plus libre puisqu'il ne m'accompagnait jamais, et j'étais chargée de ramener de céréales. Elles étaient sur la liste mais j'ai été distraite par le rayon des livres et des magazines, dans lequel j'ai flâné. Je les ai oubliées, et je suis rentrée en retard. Après m'avoir frappée à plusieurs reprises, il m'impose un nouveau duel. 

Là, face à lui, barre de fer en main, je me bats pour ma vie. Je n'ai même plus espoir de retrouver la liberté. Je suis déjà fragilisée par ses coups, et il réussit à me frapper à la tête. Le coup résonne dans mon crâne, j'ai mal, je sens un liquide chaud couler dans ma nuque. Ma vue se trouble et je ne vois plus rien, mais je tiens toujours debout alors je réponds à l'aveugle. Je sens la barre résister sous mes doigts. Je l'entends tomber à terre.

Un.

Deux.

Trois.

Quatre.

Cinq.

Je recouvre peu à peu la vue.

Six.

Sept.

Huit.

Neuf.

Dix.

Dix.

Dix !

Mes jambes ne me portent plus. Je m'effondre au sol, à genoux. Il ne se relève pas. Je pleure, sanglote, rit, hurle, relève la tête vers le ciel.

Je suis libre...

Les histoires dans mes yeux - Journal de rêvesWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu