La Nation de sang

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"I have cried all my tears, all that is left is anger."

Auteur inconnu

1 semaine plus tard...

Les balades matinales avec Clara dans les jardins du Palais de Rubis étaient devenues une habitude. Nous revêtions de belles robes légères. Généralement vert clair pour elle, rose pâle pour moi. Armées d'une fine ombrelle blanche, nous marchions côte à côte, avançant avec lenteur pour admirer les magnifiques fleurs aux mille nuances de pourpre que contenait le Jardin des invités du Palais.

Le premier jour, nous n'osions rien dire. Persuadées que les nombreux soldats Rubis disséminés dans le Palais nous observaient. Au bout du deuxième, nous avions choisi de passer outre les recommandations strictes de Seth. En veillant à ne pas divulguer d'informations compromettantes, nous nous racontions nos journées et nos états d'âme. Pendant cette heure de promenade journalière, j'ai appris à connaitre Clara d'une tout autre manière. Sensible, discrète et intelligente, elle se révélait être d'une compagnie plus qu'agréable. Ici, dans le Palais qui était celui de sa terre natale, je la trouvais changée, plus elle-même, plus forte. Elle traversait les couloirs du Palais comme si c'était sa demeure. À l'aise et souriante, elle rayonnait d'une tout autre lumière qu'en Nation d'Émeraude. Je compris alors que la véritable place de Clara Deval était ici, et qu'elle n'avait quitté son tendre foyer que pour sa sœur. Myriam, elle, ne vivait pas aussi bien la situation...

Je jetai un coup d'œil vers la droite, mais je ne vis rien mis à part des fleurs et encore des fleurs. Surement que des soldats étaient postés ici, si bien cachés que nous ne voyions absolument rien. Mais nous n'avions pas pu continuer à vivre dans cette peur constante.

-Plus je marche dans ce jardin, plus j'ai l'impression d'évoluer dans une mare de sang, soufflai-je en lorgnant les fleurs trop rouges.

Clara sourit.

-C'est fait exprès. Tout est là pour intimider l'ennemi. Il y a d'autres jardins comme celui-ci dans le Palais, et je peux te dire qu'aucun ne comporte uniquement des fleurs rouges.

-Rassurant...

Elle rit.

-Mon peuple possède un véritable talent pour effrayer les foules.

Elle n'avait pas tort. Depuis mon arrivée en Nation de Rubis, j'avais eu à de nombreuses occasions la possibilité de voir la dangerosité de ceux qu'on appelait « Les rejetons d'ivoire ». Dès le premier jour, à la sortie du bateau, des milliers de soldats alignés en bloc stricts nous avaient accueillis. Immobiles, drapés d'un rouge semblable à du sang, le visage dissimulé par des casques noirs où venaient se perdre les rayons du soleil, ils intimidaient. Et je ne parlais pas de leurs yeux percutants aux mille nuances de rouge qui vous fixaient avec sévérité...

J'avais eu le souffle coupé devant cet étalage de force et de pouvoir. Mais Seth, Myriam, Clara et Maria ne semblaient au contraire nullement surpris et encore moins apeurés. Peut-être cachaient-ils mieux que moi leurs émotions. En les voyant ainsi, j'avais revu les soldats de Melech, drapés de noir, le jour de sa prise de pouvoir. J'en frissonnais encore.

« Rejetons d'Ivoire », Myriam m'avait dit que les Rubis détestaient ce surnom. Pourtant, je le trouvais parfait. Les Rubis étaient comme les Ivoiriens. Plaçant la peur et la force à la tête de leur Nation. Les Rubis avaient voulu s'affranchir de leur racine Ivoirienne, ils n'avaient fait que s'enraciner encore plus.

Puis Dana et Constantin Saren étaient arrivés.

Un sourire carnassier sur les lèvres de Constantin, un air sévère sur les traits de Dana.

L'un souriant tout le temps. L'autre froide comme la glace.

Le feu et la glace.

Ils représentaient pourtant chacun la mort. Chacun à leur façon.

Seth disait que Dana était la pire. Myriam affirmait au contraire que c'était Constantin le plus redoutable des deux.

Je faisais confiance à Seth pour me protéger. Pourtant, le regard de Constantin suffisait à me glacer le sang.

Aussi étrange que cela puisse paraitre, pas grand-chose ne s'était passé depuis le début de notre séjour. Nous avions été à peine conviés le soir à un diner auprès des souverains (qui, d'ailleurs, ne nous avait pas parlé pas de tout le repas), nous ne faisions presque rien de nos journées. Cela me rendait folle. Seth parlait d'une stratégie faite pour nous endormir, pour que l'on baisse notre garde. Et à ce moment-là, ils frapperaient. Que cherchaient-ils ? J'étais persuadée que les sœurs Saren et Seth savaient quelque chose, mais ils semblaient me tenir exprès dans l'ignorance, surement pour me protéger m'avaient affirmé grand-mère lorsque je lui avais confié mes pensées. D'ailleurs, même elle je la soupçonnais de me cacher des choses.

Ainsi, je passais la journée avec Clara. Seth était très souvent en compagnie de nobles Rubis. Myriam quittait le Palais chaque matin et ne revenait qu'au crépuscule, elle fuyait cet endroit comme la peste. Elle n'avait d'ailleurs jamais daigné venir à un seul des diners. Quant à Maria, à part pour me donner des cours de langues, elle s'enfermait dans la bibliothèque et éludait la question à chaque fois que je lui demandais ce qu'elle y faisait.

J'étais frustrée. Tout le monde semblait savoir quel était son rôle et comment le tenir. Ils faisaient tous preuve de calme face aux machinations psychologiques des Rubis. Sauf moi. Je bouillonnais. D'impatience, de colère, de peur et d'incertitude. Je savais que je ne supporterais plus longtemps cette situation oppressante.

La Tour d'Ivoire - Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant