Faux semblant - Partie II

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"You have to learn the rules of the game. And then you have to play better than anyone else."

Albert Einstein


Sa voix était grave. Je le haïssais de toute mon âme.

-Je suis heureux que tu sois ici, ajouta-t-il, en vie.

-Moi aussi, laissai-je échapper entre mes dents serrées.

Je sentis un doigt se poser sous mon menton. Il me força à croiser son regard.

-Galaad, l'avertit Ayaan à côté de moi.

Je soutins le regard de feu de mon frère ainé.

-Pas de mensonges, petite sœur. Pas avec moi. Tu peux tous les duper, fit-il en se penchant vers moi. Mais pas moi. Plus maintenant. Pas après ce que tu as fait.

-Laisse-là, claqua la voix d'Ayaan.

Galaad se redressa, mais ne me quitta pas des yeux.

-Très bien, fis-je d'un ton cassant. Je suis absolument écœurée de voir ton visage, cher frère. Et que dire du fait que je préférais mille fois me jeter du haut de la Tour que de passer une seule seconde de plus avec toi. Ça te va comme ça, niveau honnêteté ?

Son visage se tordit de rage.

-Espèce d'ingrate.

Sans un mot de plus, il fit demi-tour et disparut dans la foule.

Ayaan me jeta un regard curieux.

-Quoi ? aboyai-je discrètement à son attention.

-Je me demandais quand tu aurais enfin le courage de lui dire tout ça, dit-il d'un ton calme. Je suis partagé entre le bonheur que tu l'aies remis à sa place, et la tristesse que ce n'est visiblement pas moi qui t'ai aidé à trouver le courage que tu avais toujours en toi.

Je ne savais pas quoi répondre à cela. Je ne m'attendais pas du tout à cette réaction de sa part.

Il n'y avait pas que Galaad et moi qui avions changé. Ayaan n'était plus le même non plus. Il ne restait rien du jeune prince arrogant, moqueur et insouciant. Et je comprenais peu à peu que ce ne serait pas à mon avantage. Ayaan avait affiné tous ces points forts, le prendre de vitesse serait maintenant bien plus difficile.

Parmi la foule de hauts dignitaires présents, je remarquai soudain avec surprise Ravana Malkam, mère de Melech, normalement reléguée au placard en raison de son abdication à 100 ans. Pourtant, elle était là, sourire aux lèvres, une cour autour d'elle, jetant de temps en temps des coups d'œil intéressés vers moi.

-Que fait Ravana ici ? demandai-je à voix basse à Ayaan, tout en me servant sur les buffets.

Ayaan ne lança même pas un regard vers sa grand-mère.

-Bonne remarque, fit-il avec un bref sourire. Être Roi de la Tour a certes des avantages, mais ce n'est pas sans risque. Mon père déjoue des attentats à son encontre très souvent, et plus que jamais il lui faut des soutiens, des gens de confiance, qui espionneront les autres, et travailleront pour lui. C'est pour ça qu'il a permis à Ravana de revenir sur le devant de la scène. Il a confiance en elle.

-Il ne devrait pas, lâchai-je en observant la plus grande ennemie de ma grand-mère du coin de l'œil.

Ayaan hocha la tête.

-Nous sommes d'accord là-dessus. Ravana est trop ambitieuse et vorace pour se contenter du second rôle.

-Serait-elle capable de l'assassiner ?

Ayaan se retourna vers moi, les yeux écarquillés.

-Par les Créateurs, mais d'où tu sors ce genre d'idée sanguinaire ? (Il haussa un sourcil moqueur.) Tu es devenue comme ces bêtes d'En Bas, une politicienne manipulatrice et sans scrupules.

-Nul besoin d'aller En Bas pour apprendre ce genre de choses, la Tour d'ivoire m'a tout appris de l'art de la duperie et de l'assassinat.

Il m'observa longuement.

-Je ne te pensais pas comme ça.

-Moi non plus. Mais il faut bien survivre, non ?

Évidemment, j'exagérais. Je ne tolérais rien de tout cela, mais Ayaan devait comprendre qu'il n'avait plus en face de lui une fille naïve.

Il hocha la tête, me fixant toujours avec une curiosité mêlée de fascination.

-Je crois que nous nous ressemblons plus que tu voudrais bien l'admettre, dit-il après quelques instants. Pour répondre à ta question, je pense que Ravana en est tout à fait capable.

Je dus me retenir de poser une main sur mon ventre.

-Comment en est-on venu à une telle extrémité, assassiner nos propres enfants...

Ayaan me jeta un regard.

-Et que ferais-tu si tu savais qu'un jour, ton enfant détruirait le monde ? Le laisserais-tu tout de même vivre ? Ton amour irait vraiment jusque-là, toi qui places la liberté avant toute chose ?

-Mon amour n'aura aucune limite. Même en sachant cela, je ne ferais aucun mal à mon enfant.

Ayaan hocha simplement la tête.

-Ni toi ni moi n'avons été aimés ainsi, dit-il.

-En effet.

Pendant les deux heures qui suivirent, nous ne pûmes plus discuter seul à seul. Nous fûmes embarquées dans des discussions que je jugeais toujours aussi ennuyantes. Mais je remarquais bien que personne ne parlait de choses importantes devant moi. Ils ne me faisaient pas confiance. Lorsque nous passâmes à table, j'eus plus d'occasions de poser des questions à Ayaan.

-Arianna et Anna, sont-elles toujours en vie ?

Les mâchoires d'Ayaan se serrèrent. Il but une gorgée de vin.

-Ce n'est pas le moment, Era.

-Bien sûr que si ! On parle de la vie de deux personnes.

-Deux personnes dont je me fiche complètement.

-Moi pas, sifflai-je.

Il soupira.

-J'essaye déjà sauver ta vie, n'en demande pas trop.

-Sont-elles en vie ?

Il mit longtemps à répondre.

-Oui, pour l'instant.

-Comment ça, pour l'instant ?

Mon cœur battait à toute vitesse.

Je devais les sauver. Je pensai à grand-mère, je lui devais bien ça, sauver sa fille.

-Comme toi, leurs jours sont comptés.

-Fais en sorte de prolonger leur vie, s'il te plait.

-Rien n'est gratuit.

J'étais écœurée, mais je connaissais Ayaan, après tout, j'aurais dû m'en douter.

-Ton prix sera le mien.

Je ferai tout. Elles m'avaient sauvé la vie, d'une certaine façon.

Ayaan ne répondit rien, mais je savais qu'il n'oublierait pas.

La Tour d'Ivoire - Tome 3Where stories live. Discover now