Partie 63 - Extrait

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* Partie 63 *

Extraits :

« Il est 6h du sbah.

Je suis assise sur le balcon. A l’intérieur j’étouffe.

Partout des cartons, partout ton souvenir, et partout le même sentiment : celui que tu vas revenir, puis la seconde d’après, partout la même réalité : tu ne reviendras plus jamais.

J’attends Khalid, je pense qu’il ne va plus trop tarder.

Je bois du thé, le café, c’est fini.

Y a des addictions dont on doit nous-mêmes nous priver, et d’autres qu’on nous arrache… Quoi qu’il en soit, le sevrage est plus dur lorsqu’on nous prend notre « drogue » de force… Je souffre. Mon corps ne veut pas être sevré de toi.

C’est aujourd’hui que tout ça s’arrête.

Les cartons s’en vont, et dans la foulée, cet après-midi, c’est moi qui m’en vais.

C’est lui qui roulera la camionnette, moi, c’est en avion que j’irais le rejoindre, je ne me sens pas de faire les kilomètres avec toutes les nausées que j’ai.

Il ne me reste que 3 cigarettes, et ce sont les dernières.

Je me suis jurée qu’après, j’arrêterai, c’est pas bon pour le bébé, je sais, mais je pouvais pas arrêter du jour au lendemain, le gynéco me l’a fortement déconseillé, surtout que la fumette et moi, c’était voilà l’histoire d’amour, et tu le sais…

Je me tire d’ici Omri, Paris, c’est clairement plus pour moi, chaque coin de rue me rappelle des souvenirs, putain quand j’y repense, on en avait en pagaille toi et moi, j’me rappelle de tout comme si c’était hier, tu vois, toi t’es parti, mais moi je suis encore ici, et c’est ça qui me torture l’esprit…

Au fond, j’y crois toujours pas que t’es plus là, pourtant je t’ai vu allonger les yeux fermés, j’ai attendu de longues minutes de voir si tu allais te réveiller, en vain, j’ai rien vu, j’ai attendu tu sais, j’ai pas quitté ton corps des yeux dans l’espoir de déceler ne serait-ce qu’une seule respiration, mais j’ai du me résigner à l’évidence…

On m’a dit que l’évidence, c’est la vérité, et on dit toujours que la vérité fait mal non ?

Et bien ce soir là, la vérité, cette vérité m’a tuée.

Je repasse ce moment en boucle, mon Dieu, donne moi la force nécessaire pour surpasser tout ça, Ya Allah… protège moi de moi-même…

Je me sens mal sur mon tapis de prières, comme si ce n’était plus ma place, comme si je n’avais plus rien à me repentir, plus rien à demander… mais je sais que j’ai tort, j’ai toute une vie à me repentir, des tonnes de pensées à me faire pardonner alors je continue, je m’acharne, je me prosterne mais je ne ressens plus la même chose.

A croire que ton départ a vraiment tout pris de moi…

« Ya Allah pardonne chacune de mes pensées, de mes idées noires et de mes mauvaises actions, je m’en remet à Toi, car Toi seul sait et que seul Ton pardon m’importe, accepte mes prières même si je doute, car je doute de Moi, en aucun cas de Toi, accepte celles de mes frères, celles de mes sœurs… Ya Allah guide moi, emmène nous tous vers le bon chemin, le chemin des pieux, le chemin des heureux… »

J’ai tout perdu, en une fraction de seconde mon monde s’est écroulé, tout s’est effondré autour de moi et j’ai assistée, impuissante, à tout ça.

J’ai tenté de relever tout le monde, un par un, et je crois avoir réussi, cela dit, j’ai oublié quelqu’un. Moi-même.

Comme toujours tu vas me dire, j’ai toujours su aider les autres et je n’ai jamais su m’aider moi-même.

Tu me disais toujours « Omri, pense à toi un peu, tu t’oublis trop souvent ».

Mais comment faire ?



8h du sbah.

J’écris encore, encore et encore, tant que j’ai de l’encre, car mes pensées ne viendront jamais à me manquer, je n’arrive pas à vider mon esprit ni mon cœur tandis que mon stylo lui, se vide doucement de son encre…

Khalid met du temps.

Il n’est jamais à l’heure…

Rappelles-toi du jour où, on devait être marié depuis quoi, 2 mois peut être ?

Il devait venir à la maison pour diner avec nous, et il était arrivé avec plus de deux heures de retard, ça t’avait fait rire tandis que moi je pétais les plombs, le diner était quasi froid, et je tournais en rond.

Tu m’avais dit « habitue toi, mon frère il connaît pas les montres, il sait même pas lire l’heure, à croire qu’il est raciste contre les suisses ».

Tu savais toujours comment me faire rire, comment dédramatiser une situation ou encore comment dissiper toutes mes colères.

T’avais ce don.

Et moi j’ai eu de la chance.

Je suis tombée sur toi, j’aurai pu tomber sur n’importe quel autre homme, mais je suis tombée sur toi.

Ca aurait pu être un homme violent, un homme qui ne m’aime pas vraiment ou un homme que je pensais aimer, mais je suis tombée sur toi, celui envers qui je ne pouvais me cacher tout simplement parce que tu lisais en moi comme dans un livre ouvert, tous les cadenas que j’avais mis à ma vie se sont ouverts à l’instant où tu as posé tes yeux sur moi.

On a traversé des tas de choses, putain quand j’y repense, sah, j’en ai les larmes aux yeux. T’étais malade, et ensemble on a combattu le mektoub, on a voulu déjouer le sort, alors peu après, il t’a repris à moi, et moi, il m’a laissé là.

Je ne parle jamais de ton accident, pourtant j’en connais les moindres détails.

Je suis triste pour cette femme qui a perdu son fils dans cet accident, j’ai de la peine pour cet homme qui doit vivre avec ta mort et celle de son fils sur sa conscience, je suis triste pour leurs proches parce qu’ils ont également perdu un proche, mais ça ne surpassera jamais ma rancœur.

J’en veux à l’homme qui t’as percuté de plein fouet, qui était saoul mais qui a quand même pris la décision de rouler, j’en veux à la vie et au destin qui t’ont mis sur sa route à lui, mais surtout parce qu’il respire encore, égoïstement, même si son cas semblait perdu au moment de l’accident, quelques jours plus tard le souffle de la vie lui a été réinsufflé alors j’en veux à ce type parce qu’il a survécu, qu’Allah me pardonne car le pardon de cet homme, je m’en fou.

Je me suis même demandée où est la justice divine, où est la logique dans tout ça ?

Cette question m’a hanté, m’a tué et m’a parfois même poussé à me demander si au juste Allah existe…

Mais cette pensée s’est estompée la seconde d’après, la colère ayant été plus forte que ma foi, pour une fois…

Il n’y a qu’un Dieu, et c’est nous-mêmes qui faisons de notre vie ici bas le calvaire que nous vivons. La vie est un cauchemar dont seule la mort nous réveille.

Je demande pardon chaque jour à Allah pour cette pensée qui n’a fait que traverser mon esprit de part en part, et pour cette sensation que je n’éprouve plus sur mon tapis de prières, et je m’en relève chaque fois plus forte, je voulais que tu le saches, ton départ m’a tout pris, et je dois apprendre à tout reconstruire.

Ma raison sait qu’il n’y a pas de meilleur remède pour moi que la salat, que ma foi sera mon sauveur, mais convaincre mon cœur est une autre paire de manche, la haine, la tristesse et l’incompréhension l’habitent bien trop encore.

Depuis que t’es parti, ces deux là se font la guerre sans cesse ; ils ne s’accordent que lorsque je pense à toi…



16h30.

Je suis assise, la tête contre le hublot.

Je regarde le ciel, j’espère voir ton visage, un signe parmi les nuages.

Khalid a fini par arriver ce matin, en deux temps trois mouvements, lui et tes frères avaient tout chargé pendant que moi je n’ai pas bougé du balcon.

Nadir est venu lui aussi mais je n’ai pas réussi à lui décrocher un seul mot.

C’est comme ça, depuis mon retour ici, je ne parle plus qu’à Khalid.

Il a trouvé l’échographie, il avait l’air si bouleversé en la voyant que je me suis vue en lui, et je ne peux pas le laisser, je ne veux pas le laisser. J’ai besoin de lui plus que jamais, et ce qui m’a choqué le plus à ce moment là, ce sont ses yeux, c’était comme s’ils me disaient « me laisse pas, j’ai besoin de toi, besoin d’être près de votre bébé, ne m’enlève pas Mohamed une deuxième fois ».

En face d’une autre personne, dès que je prends la parole, ma gorge se noue, les larmes inondent mes yeux et au final les mots ne sortent pas.

Personne n’est toi.

Voilà simplement pourquoi.

Je regarde ce vaste ciel et t’imagine quelque part.



Ici il fait bon.

Je suis sur le balcon, oui, on a encore un petit balcon.

Il est plus petit que celui d’avant, mais mahlich, tu sais qu’à moi il ne me faut vraiment pas grand chose, même si y a de la place juste pour y mettre une chaise, ça me suffit amplement.

Le soleil tape. Ca fait du bien.

Ca fait déjà quelques jours que je suis installée.

Fini les cartons, fini tout le bordel, j’ai pu faire le grand ménage tah c’est du propre et je peux enfin dire que je suis chez moi.

Enfin, chez nous.

Khalid habite avec moi, il dort dans la chambre de suite à côté de la porte d’entrée, moi j’ai celle tout de suite à l’entrée du couloir, à droite.

C’est comme si on vivait séparés, mais sous le même toit.

Tu verrais, c’est plutôt joli, la déco tout ça, c’est assez simple, je ne me suis pas cassée la tête, du blanc, du gris clair et du vert très clair. C’est tout. Toutes les pièces sont de la même couleur, dans les mêmes tons, je voulais que cet appartement respire la paix. Le calme. Voilà.

Pour mon arrivée ici, Nadir m’a offert un GPS, j’avoue que mes premières sorties en solitaire, je me suis perdue plus de fois que je ne suis arrivée à destination, mais je vais m’y faire.

Tu me connais.

Je ne lâche jamais l’affaire.

C’est pas les rues de Marseille, ni le fait qu’ils ne savent pas rouler, qui vont changer quoi que ce soit à ma détermination : je vais devenir une vraie Marseillaise.



4h du sbah, un autre jour.

Coup de blues.

Je suis salement mélancolique.

Depuis hier je pète un plomb pour pas un.

Les hormones mélangées à la colère, ça va vraiment pas du tout ensemble.

J’en dors plus, j’ai pas fermé l’œil depuis 3 jours, sah, je deviens complètement folle, je vais me faire interner d’office si ça continue, comme ça, je tiendrai pas un jour de plus, j’ai envie de tout casser, de me casser la gueule, je ne me supporte plus !

J’ai honte de moi, si tu savais à quel point !

Ca fait quelques mois que je n’ai pas pris le temps de t’écrire.

Je me suis jetée à corps perdu dans cette nouvelle vie, espérant passer le cap. Je ne cherche pas à t’oublier, je cherche juste à vivre avec, et je pensais y arriver, mais finalement, tout me ramène à toi et de ce fait, je ne fais que reculer, je n’avance plus.

Je fais des cauchemars, je ferme les yeux et je te vois en face de moi, tu me dis que tu m’aimes et je ne sais pas te répondre, j’ai envie de te dire que je t’aime mais la honte m’en empêche…

Oui. J’ai honte de moi.

J’ai honte de moi car j’ai un deuxième homme en tête, et ça ne te fera peut être pas plaisir.

Khalid.

On est en froid ces derniers temps et sah, je ne le vis pas très bien.

On s’est disputé tu sais, il est plein de respect, j’ai compris qu’un truc n’allait pas quand il m’a dit qu’il pouvait pas parce que c’était la famille.

Il l’a dis à plusieurs reprises, d’abord, je me souviens, il m’a dit exactement « c’est la famille », puis il a fini, les yeux rougies par dire « c’était la famille »… Il parlait de toi, nul doute pour ça.

J’ai pas de suite compris, tu sais que moi je ne comprends que ce que je veux bien comprendre, et cette réalité là, je la refusais tellement que j’ai mis quelques jours à comprendre…

Je m’en veux de penser à un autre homme que toi alors que tu hantes tous les jours mon cœur, je ne devrais penser qu’à toi, mais petit à petit lui aussi se fait de la place, est-ce parce qu’il est près de moi, qu’il prend soin de moi et du bébé, est-ce à force de partager nos vies à cœur ouvert, ou est-ce parce que l’homme qu’il est me fait penser à toi ?

Je me pose des tas de questions, et je ne sais y répondre.

J’aimerai croire que c’est juste car il me fait penser à toi, mais non, c’est bien plus que ça.

Quand il n’est pas rentré pendant 2 jours après notre dispute, j’étais inquiète, je me suis rongée tous les ongles, comme quand toi tu partais. Je tournais en rond et l’appartement me semblait si petit que j’avais l’impression que les murs se resserraient sur moi.

J’essaie de penser à ce que tu me dirais si t’étais là, mais en fait… si t’étais là, jamais je n’aurai regardé un autre homme que toi… C’était à peine si les autres existaient autour de moi…

T’aimer a été la plus belle chose qui a pu m’arriver Omri.

Te perdre a été, et est encore, la chose la plus difficile qui m’est arrivée.

Même l’absence de Nadir ne m’a pas pesée autant.

Et je me suis rendue compte d’une chose en écrivant ces lignes : Khalid est peut être la seule personne en mesure de rivaliser avec toi, mais il n’est pas toi, et ne le sera jamais.



De retour à Paris.

J’ai préféré partir, l’ambiance était trop pesante et l’arrivée imminente de notre fille ne me facilite pas les choses.

Je ne sors plus, je mange à peine et je ne dors quasiment plus.

Je regarde les tiens s’aimer encore plus fort qu’avant, la confiance et la complicité qui planent dans ta maison sont un grand bonheur à voir.

J’ai retrouvé cette sensation tant aimée que j’avais sur mon tapis de prières.

Je suis entrain de recouvrer le sourire Omri, tu me manques toujours mais chaque jour qui passe m’aide à faire avec, et si j’y arrive, c’est en partie grâce à Khalid.

Depuis que je suis loin de lui, je ne pense plus comme avant à lui, et je pense que c’était sa présence constante à mes côtés qui a fait dérailler mes pensées, qui m’a laissé croire que je ressentais quelque chose de plus pour lui.

Je suis heureuse. Enfin, je crois que je le suis.

Même si j’ai toujours ce sentiment amer d’inachevé car le mektoub m’a coupé l’herbe sous le pied.



Ce soir, ta sœur m’a dit qu’elle avait demandé à Khalid de rentrer, Nour m’a dit quelque chose que jamais je ne pourrais oublier « je veux qu’il vienne pour qu’il me rende ma sœur, celle que j’ai perdue le jour où j’ai perdu mon frère ».

Ais-je tant changé ?

Je ne m’en étais pas rendue compte.

Je lui ai rétorqué « mais je n’ai pas changé ! je suis toujours la même ! »

Ce a quoi il m’a répondu « c’est ce que tu crois, mais faut t’ouvres les yeux la con de ta race, t’es la même, mais qu’avec une personne et c’est pas nous !! »

Il avait l’air si triste, et si en colère, c’était bizarre, je ne sais comment te décrire ce que j’ai ressenti.

Je me suis levée et j’ai fuis, je suis partie en courant dans la chambre, et juste avant d’atteindre mon lit, Nour a ouvert vivement la porte, m’a balancé son portable dans la figure et m’a dit plus calmement « hassoul, excuse moi, je devrais pas m’emporter, mais ce que j’viens de faire, c’est trop un truc de ouf pour que ça m’touche pas et pour que toi tu comprennes pas ».

J’ai pris son portable entre mes mains et j’ai commencé à fouiller, s’il me l’avait balancé dessus, c’était pas sans raison..

Et j’ai lu.

Je suis restée stupéfaite devant ce que je venais de lire.

Lui et Khalid s’échangeaient des messages. Khalid m’appelait tous les soirs, mais en douce ce que je ne savais pas, et que je venais de découvrir, c’est qu’il demandait à Nour si j’allais vraiment bien ou si je jouais la comédie, et le dernier message m’a fait fondre en larmes.

« Vas y frère rentre, j’voulais trop faire l’égoïste mais sah j’peux plus, Diya, ça va pas, en plus tu m’rends ouf rien que tu me parles d’elle, rentre, c’est mieux, j’te donne ma bénédiction, wAllah, vous serez heureux qu’à deux »

Venant de Nour, je m’attendais à tout sauf à ça. Lui qui possède le cœur le plus dur que je connaisse, qui a tellement souffert de ton départ, lui qui m’a toujours dit qu’on aime qu’une fois dans la vie, il venait en quelque sorte d’avouer que Khalid et moi ne serions jamais plus heureux à la seule condition que d’être à deux…

Et moi quand j’ai lu ça, j’ai senti mon cœur se crisper.

Je ne veux pas aimer un autre homme que toi, je ne veux pas refaire ma vie avec un autre homme si ce n’est pas toi, et personne ne pourra plus jamais être toi alors je veux rester seule, je veux vieillir seule, élever Kaylissa seule, oui, c’est ça, je veux tout faire toute seule, si ce n’est pas avec toi, alors ça sera avec personne…

Pour qui se prennent-ils tous à vouloir…

Je n’ai pas fini ma phrase Omri, j’ai été interrompue et j’ai oublié ce que je voulais dire, j’ai parlé avec ta mère, et même tes sœurs s’y sont mises, apparemment Khalid et moi on serait plus que ça, mais il n’y a que nous qui ne le savons pas, c’est ce qu’il découle de cette discussion, et je t’avoue que j’ai le cœur brisé en mille, ta mère m’a dit quelque chose ce soir, et ça a tout changé pour moi… la seule chose qui ne changera jamais, c’est que je t’aimerai toute ma vie



C’est difficile de se résoudre.

Je sais maintenant qu’il me plaît, tout le monde le savait déjà et même lui le sait, mais il ne dit rien contrairement aux autres qui me poussent limite dans ses bras.

Yemma m’a dit « a force de trop tirer une corde, elle cède, à toi de voir de quel côté tu veux tomber. Tu as le choix. »

Et elle a raison, comme d’habitude, qu’on se le dise.

J’avais pas trop compris où elle voulait en venir, mais elle m’a bien expliqué. Soit je « reste plantée là », soit j’avance, et pour elle s’est du tout cuit, je cite « t’as toujours foncé droit devant sans te retourner, alors je sais que tu feras le choix d’avancer, et ça sera le bon choix pour toi ».

Mais je crois qu’elle se trompe.

C’est vrai, j’ai toujours avancé, quoiqu’il arrive, et quoiqu’il m’en coûte, j’ai toujours foncé droit devant, sans jamais me retourner et même si ça me faisait très mal, mais là, ce n’est plus la même chose tu vois.

Je n’ai plus de raison d’avancer.

Avant j’avais besoin de trouver mon frère et de le rendre fier, je l’ai retrouvé et il est fier.

Et je t’ai eu toi, j’ai avancé pour te faire avancer, puis on s’est marié et on voulait avancer à deux… Puis… je t’ai perdu… et j’ai appris que j’étais enceinte.

Quand elle sera là, notre fille, j’aurai une raison d’avancer, mais avec elle, je n’ai nul besoin d’avancer avec une tierce personne.

Tu me connais.



J’ai ce sentiment de dégout envers moi qui me tue lentement chaque jour, ce n’est qu’auprès de Khalid que j’arrive à tolérer ce que je ressens, il estompe mes doutes, chasse mes peurs, me convainc que ce que je pense est le meilleur, mais sitôt partie, je n’ai qu’une envie : arracher mon cœur de ma poitrine.

Ce que je ressens va à l’encontre de ce que j’ai toujours voulu.

Quand t’es parti, j’ai fais vœux de rester ta femme toute ma vie, devrais-je dire ta veuve Omri… Et aujourd’hui voilà qu’une partie de mon cœur se demande s’il pourrait reconstruire un second bonheur ?

Je chasse cette pensée mais elle revient au triple gallot, elle me gifle et s’encastre encore plus profond.

J’ai peur que tu m’en veuilles. Correction. Que tu nous en veuille.

Depuis peu je sais que ce que je ressens, il le ressent aussi. J’étais soulagée, pas dans le sens où j’avais besoin qu’il ressente ce que je ressens, mais dans le sens où étant donné qu’il ressent la même chose, il sait ce que je pense de moi, pour penser la même chose de lui.

Je suis en colère contre moi-même, et nul doute sur le fait qu’il est en colère contre lui-même aussi.

Je me hais de ressentir ce que je ressens mais toi qui m’a appris à faire confiance au mektoub les yeux fermés, crois-tu qu’il est encore raison cette fois-ci ?



Coup de blues.

Ce soir, j’ai besoin de me rappeler de toi, de me rappeler de tous nos souvenirs.

Rappelles-toi cette fois où on était parti manger, sah quand j’y repense, toi et moi, rien qu’on faisait que de bouffer, je me demande même comment on a pas fini obèses.

Hassoul, on était parti manger, tous les snack étaient fermés vu l’heure alors tu m’as trainée de force au Mac Do, tu sais que j’aimais pas y aller parce que devant c’était le squatte tah l’entrée B du quartier, mais ce soir là, tu m’as pas laissé le choix.

C’était l’hiver.

Tu voulais que je viennes avec toi, mais moi pas, et visiblement, t’avais la ferme intention de me laisser seule la voiture éteinte donc dans le froid, alors j’ai du te suivre.

En passant devant la porte, et devant tous ces regards de mecs plutôt insistants envers ma direction, tu m’avais prise par la main et un gars t’as dit « ho mec tu fais trop le canard » et tu lui avais répondu « en même temps, moi j’ai quelqu’un avec qui faire le canard ».

C’est vrai, nous on s’avait nous, et c’était suffisant pour faire taire tous les médisants.

Et des médisants il y en a eu.

Mais des personnes derrière nous beaucoup plus.

Je me souviens aussi d’une fois quand on était parti au centre commercial, ça faisait peut être deux mois qu’on se fréquentait, on était plus potes qu’autre chose, mais au fond, c’était déjà bien ambiguë, je m’étais arrêtée devant une vitrine, sans regarder plus que ça, pendant que tu parlais avec un de tes potes.

Quelques jours après tu m’offrais le sac que j’avais regardé.

Je t’en avais voulu car je n’aime pas les cadeaux, mais j’avais aimé cette attention car même si à cet instant là tu n’étais pas avec moi, tu avais quand même un œil sur moi, en tout cas pour voir quel sac j’avais regardé.

D’ailleurs, je t’en ai voulu, pour des tas de choses, tes moments de colère, ou ceux d’absence, bien plus pire que ceux de colère, je t’en ai voulu pour ces autres filles même si on était pas ensemble, pour un possible enfant avec une autre mais surtout parce que d’autres avant moi avait pu toucher ce qui était à moi.

Tu me disais souvent « derrière ta féminité, tu cache un putain de bonhomme », et c’est vrai.

Mais même le bonhomme qui se cache au fond de moi t’aimais comme un fou, et t’aime encore comme un fou.

Si tu savais comme tu me manques, ces derniers temps, de part ma relation grandissante avec Khalid, je me pose mille question.

Je ne sais pas si je fais le bon choix, mais au fond de moi je sais que tu valides parce que tu le connais et que tu me connais, et que si nos cœurs se sont choisis, c’est peut être un peu par ton fait.

C’est vrai qu’on était vulnérables, quand t’es parti, c’est comme si chacune de nos carapaces avait disparue, on a pleuré l’un devant l’autre, on s’est consolé, alors qu’en temps normal, y a un temps d’adaptation tu vois, un temps pour percer la carapace de l’autre, mais entre nous, tout ça, ton départ l’avait fait disparaître.

Et c’est peut être pour ça que c’est allé si vite, parce qu’on s’est fait rapidement confiance, et qu’on savait qu’on pouvait compter l’un sur l’autre sans jamais être déçu.

J’essai de trouver des réponses à mes questions, tu vois, je me préoccupe de moi pour une fois.

Je me demande que serait ma vie si tu étais toujours ici, si on s’aimerait toujours comme avant, ou encore plus aujourd’hui ?

Je me demande en fait comment tout serait si t’étais toujours ici.

J’essai d’imaginer ma vie si je ne t’avais pas connu, et j’en suis sûre Mohamed, j’en suis sûre, j’aurai jamais pu être heureuse vraiment, c’est toi qui a donné le tournant à ma vie, et si tu n’avais pas fait partie de ma vie, sache que j’aurai toujours vécu le cœur vide et persuadée d’avoir loupé le coche, ton coche…

Je vais finir par me convaincre que ce qui devait arriver est arrivé, et qu’une autre version de l’histoire était d’avance à oublier.

Ton départ était prémédité, notre mektoub à tous est écrit depuis des millénaires, et nous ne faisons que jouer une pièce qui est déjà écrite.

Ta mort devait arriver, et tout ce qui s’en suit aussi.

Je suis sûre qu’un jour j’en serai convaincue. »

Fin des extraits. Je reprends le cahier. Fini de vous recopier ce que j’avais écrit auparavant. Peut être lasse des flash backs, ou tout simplement parce que je dois cessée d’être nostalgique, parce que je le suis et parce qu’au fond, mon passé ne doit pas prendre le pas sur mon présent.

Il me manque, certains moments me manquent, mais c’est la vie, et contre elle, on ne peut pas lutter, alors j’ai choisi d’accepter, de tout accepter.

Hassoul, je reprends ce stylo, je commence une nouvelle page.

« Bismilah.

Comme à chaque fois, c’est difficile de prendre un stylo et de recommencer sur une nouvelle page. J’aimerai tellement te parler de vive voix qu’automatiquement mes yeux s’embuent.

Je sais que les prochaines minutes, mon stylo va débiter un flot incontrôlable de mots, pendant que mes yeux déverseront par dessus des torrents de larmes.

Je le sais, c’est toujours le même rituel, toujours la même difficulté à me décrocher de ce cahier. Les feuilles s’y entassent, se détachent même, mais je continue à en rajouter. J’ai toujours ce besoin aussi constant de me livrer.

Un peu à l’homme de ma vie qui m’a quitté, mais beaucoup à ce merveilleux ami que tu étais.

Tu me manques. Tu nous manques.

Sah, c’est horrible.

Et voilà, première larme. Suivi d’une deuxième, et certainement de dizaines d’autres.

Je t’écrivais, il y a quelques années, que j’arriverai à me convaincre que tout ce qui s’était passé devait arriver, et que ça n’aurait pas pu se produire autrement.

Et j’ai réussi à me convaincre, enfin, après tant d’années.

Ce fut dur, et ce ne fut pas la chose la plus facile, mais j’y suis arrivée.

Mais quand bien même j’ai réussi, sache que jamais je ne cesserai de t’aimer.

Oui, beaucoup de choses ont changées, mais mon amour pour toi jamais.

Mon premier amour, mon premier baiser, mes premières larmes, mes premières angoisses, ma fierté, mon premier battement amoureux de mon cœur, tout ça, je te l’ai donné à toi en premier.

Et je te promets une chose Omri, c’est que le dernier battement de mon cœur sera destiné à l’homme que j’aime aujourd’hui.

Je t’ai tout donné à toi en premier, et il me prendra tout à moi en dernier.

C’est la plus belle promesse que je peux te faire, car elle signifie que j’ai su me reconstruire, et pourtant, après ton décès, je n’imaginais rien de tout cela. Mais j’ai puisé la force, encore une fois en toi, en nos souvenirs, et j’ai réussi.

Je sais que t’aurai voulu que je sois heureuse, que j’offre une stabilité à notre fille, même si pour cela elle n’aurait eu besoin que de moi, je sais que tu aurai voulu que je finisse ma vie amoureuse, sachant que j’ai toujours été une romantique refoulée, je sais que t’aurai voulu tout ce qu’il y a de mieux pour moi, à commencer par vieillir aux côtés d’un homme qui aurait accepté de te succéder en prenant soin de moi…

Je sais tout ça parce que je te connaissais par cœur.

Je n’aspirai qu’à être heureuse vraiment, et à tes côtés je le fus.

Peut être durant un très court laps de temps, mais je le fus.

Je pensais cet état de bonheur et de paix perdu à jamais, mais il s’était juste égaré un peu plus loin sur ma route, et j’ai fini par le retrouver.

Quelques larmes roulent encore sur mes joues, ça ce calme, petit à petit, parce que je parle de Khalid.

Je souffle un grand coup, en vrai, quand je pense à toi, je mélange rire et larmes.

T’as vu, j’me souviens encore de tout, il ne se passe pas un jour sans que je raconte une de nos histoires à Kaylissa, parfois ce sont les mêmes, parfois je change.

Elle écoute, et parfois elle me le répète, la voir te raconter, c’est juste la plus belle chose qui m’ait été donné d’entendre et de voir, parce qu’elle a les mêmes manières que toi. Et surtout, elle a tes fossettes.

Les larmes se remettent à couler, c’est un truc fou, quand je parle de toi, c’est toujours la même chose, une fois je rie, une fois je pleure, mais c’est pas comme si c’était que moi, nous tous, depuis ton départ, on est comme ça.

Y a pas longtemps j’ai croisé Brahim, tu sais le petit du 19, à l’époque, tu jouais souvent au foot, ses parents avaient pas trop les moyens alors tu lui avais offert tes anciens crampons et ton vieux maillot du Maroc.

Quand je l’ai vu, j’ai failli pas le reconnaître, notre ancienne cité, c’est pas trop un endroit que j’aime fréquenter quand je remonte sur Paname. Mais ce jour là, j’étais passée, histoire de dire bonjour aux anciens skuatteurs de murs, et surtout pour visiter la fille de la voisine, Naïma et son fils, car oui, elle a eu un fils.

Hassoul, je m’égare, avec toi, j’aimai trop toujours rentrer dans les détails, qu’est-ce que ça pouvait t’énerver, mais qu’est-ce que j’aimais cette veine sur ta tempe droite qui sortait à chaque colère…

Je m’égare encore… J’ai donc croisé Brahim derrière, au parc, là où à l’époque tout le monde jouait au foot (c’est d’ailleurs toujours le cas), il est venu me Salam, et j’ai vu qu’il était gêné, au départ j’ai pas vraiment compris pourquoi, mais il fixait tellement ses pieds que j’ai fini par les regarder, et j’ai pu voir qu’il portait tes crampons.

Oui, ceux de l’époque, ils étaient tout rafistolés, avec du scotch, du gros lacet cousu, on voyait ses chaussettes dépasser de côté, il m’a relevé la tête parce qu’il a vu que mes yeux avaient pris chaud, et il m’a dit « je l’oublierai jamais ».

Non, personne ne t’oubliera.

Des anecdotes comme ça, j’en ai des tonnes. A chaque fois que je remonte à Paris, c’est la même histoire, t’as marqué tous les esprits, et même des années après, les murs du quartier porte la douleur de ton départ.

Partout sur les murs tes frères ont posé ton prénom, et les petits grandissent avec ton souvenir.

C’est dingue comme une cité peut avoir les coudes serrés quand elle perd un des siens, parce que ouai, le jour où t’es parti, c’est toute une cité qui a porté ton deuil, toute une cité qui a pleuré, c’était pas juste nous, et ça, j’avais omis de le préciser.

T’étais très apprécié, je l’ai assez répété dans mes écrits, mais j’voulais encore le dire aujourd’hui.

J’ai aimé t’aimer, et jamais je ne cesserai.

J’ai déjà écrit plus de deux pages, tu vois, comme à l’époque je gratte sans compter. Tu me disais toujours « Clairefontaine fait son budget sur ton dos » et c’est surement toujours le cas.

Je rigole maintenant. Putain, qu’est-ce que j’aimais t’entendre rire, je donnerai tout pour l’entendre une dernière fois.

Quand j’y repense, j’me dis que voilà, tout ça appartient au passé, mais mon passé m’appartient, et pour rien au monde je ne le changerai.

Comme j’ai dit une fois, ce qu’il s’est passé, s’il fallait le revivre, autrement dit t’aimer à nouveau, et te perdre à nouveau, je le referai sans hésiter. Même si ça veut dire te perdre encore une fois.

Il y a des choses qui ne changent pas, et ce, même avec les années.

J’ai refait ma vie, j’ai eu Yassine, et je suis enceinte du troisième, un petit garçon.

Je suis heureuse, très heureuse même, et si je le suis autant, c’est parce que je vie aussi avec ton souvenir.

Je te dois beaucoup. Alors j’ai à te remercier pour beaucoup aussi.

Je crois que je vais arrêter d’écrire, mes larmes coulent à nouveau et Yassine ne va pas tarder à se lever, il a grandi sans les larmes et il ne grandira pas avec, comme Kaylissa, j’ai tout fait pour les en épargner et les en épargnerai aussi longtemps que je le peux.

Je viens de passer une énième nuit blanche en ta compagnie, les mots que je viens de poser n’étant pas venus d’une traite, ce fut une des plus belles nuits de ma vie, comme toutes celles que j’ai passé en ta compagnie, jadis.

Je t’aime Omri, je ne me lasserai jamais de te le dire, et encore moins de te l’écrire. »

Il y a peu, sur cette page où je raconte ma vie, j’ai demandé qui pensait que j’avais trahi Mohamed en épousant Khalid.

Ce n’était qu’une question, car la réponse, c’est le mektoub qui me l’a donné.

Même si certains d’entre vous l’ont vécu comme une trahison, et pense que pour moi les choses sont allées vite et que du coup, je n’étais pas en pleine possession de mes moyens, je l’ai aussi très mal vécu.

Mais aujourd’hui je le vie très bien. Je suis heureuse, et ce ne sont que des épreuves à passer. Je me suis faite confiance, et j’ai surtout fait confiance au Plus Haut.

Ce qu’Il a choisit pour moi ne peut être que le meilleur pour moi.

Si j’ai écris cette chronique, c’est aussi pour avoir vos opinions, aussi diverses soient-elles, je les voulais toutes.

Je n’ai pas mal pris quand on m’a dit que je l’avais trahie, pour avoir moi-même eue cette pensée envers moi, et je ne l’ai pas mal pris quand on m’a dit qu’à ma place, on n’aurait pas refait sa vie, parce que vous êtes vous, et que je suis moi, et que c’est grâce à tout ça que le monde est si beau et si haut en couleur.

J’aime mon mari, oui, je l’aime, et il le sait.

Et même si je parle peu de lui, lorsque je le fais, je sais que vous ressentez tout autant que moi que c’était la personne qu’il me fallait.

Si je parle peu de lui c’est parce que je veux nous préserver au maximum, notre amour est actuel et de ce fait fragile comme la vie.

Cette page, je l’ai compris il y a peu, je l’ai aussi créée pour rendre hommage à Mohamed, Allah y Rahmou. C’est pour cela que je parle le plus souvent de lui, car c’est encore libérateur pour moi et cela le sera toujours.

Je pourrais vous parler de Khalid des journées entières, mais il ne préfère pas. Pour en avoir parler il y a peu avec lui.

Ce qui suit, je l’écris pour lui, pendant qu’il me dicte quoi vous dire… :

« Diya m’as dévoilé un peu, et c’était déjà trop, quelques mots suffisent.

Je ne lui veux pas, j’ai même apprécié ce qu’elle disait, la hafrita m’a fait pleurer, j’ai pas honte de vous le dire parce qu’on est ici tous à la même enseigne.

Sah, j’ai apprécié lire ce que vous pensiez de moi !

Mais plus de 50 parties parlent de Mohamed, Allah y Rahmou, alors que les prochaines parlent le plus souvent de lui.

N’oubliez pas qu’un mort vit encore à travers les vivants.

J’aurai été touché si Diya avait parlé de moi comme elle parle de Mohamed, Allah y Rahmou Akhy, j’ai accepté qu’elle l’aime encore, parce que moi vivant, je ne permettrai à personne de l’oublier. »

Il n’a dit que ça, et s’en est allé, muet.

De là où je suis, je le vois.

Il est sur la terrasse. Comme à chaque fois qu’on parle de lui d’ailleurs.

C’est comme un rituel, il allume une cigarette, même si on ne fume plus.

Il la regarde juste se consumer.

Et même si je ne suis pas dans ses pensées, où même à ses côtés, dehors, dans ce froid, je sais à quoi il pense.

Il pense que la vie se consume aussi vite qu’une cigarette. Surtout que celle de son frère s’est consumée aussi vite qu’une cigarette. La vingtaine et puis c’est tout.

Je sais que quand il la regarde, il voit sa vie aux côtés de Mohamed défiler. C’est ce court instant qui lui permet de se laisser aller à la tristesse, une cigarette et puis il rentre, le sourire aux lèvres, comme si l’instant d’avant n’avait jamais réellement existé, comme si toute la tristesse qu’il ressent quant on évoque son frère s’était envolée fumée…

Et je n’aurai pas pu trouver plus belle image que celle qui inaugure cette partie…

*** A jamais Lui, à jamais Nous… ***

Il était une fois : pff les contes de fées n'existent pas.Where stories live. Discover now