Chapitre I. De nouveaux horizons

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1888. Dans la périphérie parisienne, un mastodonte d'acier surmonté d'un long ballon blanc quittait le sol français. Les tonitruants bruits des moteurs se mêlaient aux directives de l'équipage s'afférant dans la salle des machines. L'appareil, bijou d'une technologie novatrice et prodigieuse, transportait en son sein plus d'une trentaine de personnes prête à quitter le pays, ou plutôt devant fuir Paris. Car oui, plus que de courageux élèves accompagnés de leurs professeurs, ces jeunes gens devaient partir de leur terre natale, redoutant les représailles de la direction d'une académie qui, par convictions ou par solidarité, n'était plus la leur. C'était entre ces bruits mécaniques et les invectives germaniques qu'une jeune fille, après avoir cherché du regard une place dans l'une des cabines du dirigeable, décida finalement de s'asseoir à côté d'un hublot donnant sur l'aérodrome s'éloignant peu à peu d'elle.

Elle avait été surprise du confort qu'offrait la cabine : se trouvant au-dessus des machineries endiablées, le compartiment adressé aux voyageurs pouvait rivaliser avec ces luxueux trains qui partaient à destination de contrées plus lointaines que ce que l'on pouvait imaginer. Le cuir des fauteuils épousait le gris pâle des rideaux, et tandis que certains déambulaient dans l'allée centrale de la cabine en proposant à leur ami de les rejoindre, d'autres s'étaient déjà installés, observant avec émerveillement l'envol de la bête d'acier.

Elle finit par s'asseoir, seule, pensive, songeant à ces contrées lointaines que certains qualifiaient d'enfer avant que d'autres ne les reprennent pour les rassurer. Elle ne savait rien de leur destination, et leur départ si soudain ne l'avait pas aidé à se renseigner sur ce pays nouveau pour beaucoup. Pourtant, il lui semblait que les jeunes gens de sa classe, la prestigieuse Asgard, étaient nombreux à avoir quitté la France, ou du moins à l'avoir rejoint peu après leur naissance, mais elle ne s'était pas intéressée à la situation de ses autres camarades de la seconde classe. Pourquoi aurait-elle voulu être intriguée par ces étranges Atlantide ? Bien qu'ayant remporté haut la main la Veillée quelques jours plus tôt, et étant par la même occasion les responsables de leur départ, elle ne leur trouvait rien de spécial. Elle ne comprenait même pas la raison de sa présence dans ce dirigeable : ses professeurs avaient simplement annoncé à la classe qu'ils avaient remis leur démission, et qu'afin d'assurer leur sécurité, ils se devaient de partir de Paris.

« Partir de Paris... Mais de là à aller chez l'ennemi... pensait-elle en jetant un œil à un soldat traversant l'allée. »

Elle n'avait jamais aimé l'Allemagne, comme beaucoup de ses compagnons d'après ses souvenirs. Mais il paraissait que leur hôte était d'une prestigieuse famille bavaroise, influente et qui, de surcroit, possédait un immense château digne des plus beaux contes de fées. Au fond d'elle-même, et malgré son manque d'affection pour le peuple germanique, elle se consolait en s'imaginant une somptueuse chambre accompagnée d'une garde-robe qu'aucune jeune fille de son âge n'aurait prétendu avoir.

Ces fantasmes absorbèrent tant son esprit qu'elle ne remarqua pas que son visage, son si précieux visage, arborait des traits simplets et naïfs, si bien qu'un élève passant par là se retourna vers son camarade en lui lançant tout en la pointant du doigt :

« Regarde celle-là, elle a l'air un peu bêta tu trouves pas ?

- Théophile ne montre pas les gens du doigt enfin c'est malpoli ! rétorqua, gêné, son ami en l'obligeant à baisser son bras.

- J'espère qu'ils ne sont pas tous comme ça les Asgard... marmonna le garçon accusateur en continuant d'avancer. »

La jeune fille, qui avait été sortie de ses imaginations par la remarque du prénommé Théophile, lui lança un regard noir avant de tourner de nouveau sa tête vers le hublot.

BCU ou Les murmures des SalvateursWhere stories live. Discover now