Chapitre IV. La forteresse de l'Aigle

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Quelques minutes s'écoulèrent avant que le convoi ne reprenne sa route. L'imposante voiture arrêtée auparavant devant l'hôtel de ville d'Ehrenheim s'était frayée un chemin pour repasser en tête du cortège, indiquant qu'il était possible de monter jusqu'au château. Chaque voiture passa à un poste de guet, où deux soldats en uniformes observaient, intrigués, les vitres des véhicules, curieux d'apercevoir les occupants de ceux-ci. Une fois les lourdes grilles passées, seule l'obscure forêt s'étendait devant-eux. Impossible de contempler les plaines qu'ils côtoyaient plus tôt, les épais feuillages et les buissons touffus reflétaient l'unique paysage alentour. Plus de soleil radieux non plus, les flamboyants rayons lumineux semblaient étouffés, dévorés par les cimes et les branchages. Tout en essayant de voir au-delà des broussailles, Théophile se mit à faire une moue soucieuse, que remarqua vite Enrico.

« Qu'y a-t-il ?

- J'ai faim... répondit le garçon en baissant son regard sur son ventre d'où provenaient des gargouillis plaintifs.

- Nous mangerons dans moins d'une heure, cela ne fait aucun doute ! lança Théobald, ne voulant voir Good sortir de la voiture avec pareille mine.

- Vous pensez qu'on va manger quoi ? demanda-t-il, les yeux rêveurs.

- Guillaume m'a dit que, avant qu'il ne parte en France, il mangeait ici beaucoup de viandes, de pommes de terre, de potages fumants les soirs d'hiver, de pâtisseries fourrées de crème... »

Gracias arrêta son énumération avec un large sourire en voyant que la moue de Théophile s'était complètement envolée. Mieux encore, Théobald arborait lui aussi un air contemplatif, qui s'était teinté d'un hochement de tête à l'évocation du mot « viandes ».

« Une cuisine bien moins raffinée que la nôtre, cela ne fait plus aucun doute ! ajouta Richard en levant les sourcils.

- Ce n'est pas parce que ce n'est pas raffiné que ça ne doit pas être bon ! s'exclama Iamanti en donnant un coup de coude à son camarade. »

Dugard maugréa quelques mots dans sa barbe mais n'entacha d'aucune façon les attentes de Théophile. Il s'imaginait déjà déambuler dans les grands couloirs du château passant sa tête à travers chaque fenêtre pour épier la course du soleil, dévorer tous les livres de la bibliothèque que son ami allemand lui avait si souvent vanté, et dormir dans un lit douillet qui ne serait pas au ras du sol...

Une nouvelle fois, les voitures s'arrêtèrent. Ils devaient être à un peu moins de cent mètres de haut, sur une sorte de petit plateau rocailleux recouvert de végétation. Les jeunes hommes attendirent patiemment avant que l'on ne vienne frapper à la portière : c'était le professeur Nol.

« Vous pouvez venir, leur dit-il en ouvrant la portière, nous sommes arrivés ! »

Théophile descendit le premier, suivi de Théobald, d'Enrico et de Richard. Leur maître d'armes leur indiqua également de ne pas oublier leurs effets personnels, mais hormis Good tous avaient saisi leur valise. Théobald fut surpris en constatant que les seules affaires du garçon consistaient en un petit sac de voyage paraissant à peine rempli, accompagné du parapluie que Théophile ne quittait jamais.

« Aussi peu ? s'étonna à voix haute Richard, serrant dans chacune de ses mains d'épaisses valides marron.

- Comment ça aussi peu ? J'ai pris quasiment toute ma maison avec moi, un peu comme toi ! »

Enrico se retint de pouffer et préféra s'avancer vers la tête de la file. La voiture de Guillaume était stationnée plusieurs mètres plus loin, sur un épais pont en pierre grise. Ce dernier, soutenu par un immense pilier en son centre. Le pont donnait sur le vide, ou plutôt sur l'immensité des plaines alentours. En contrebas, on apercevait Ehrenheim, une tâche urbaine plus grande que ce que Gracias eut imaginé. Il déposa sa valise sur le pont, et posa ses mains sur le parapet en pierre. Il contemplait le lointain, ce lointain dont il venait. Il essayait de distinguer l'aérodrome, en vain. Seules d'autres montagnes aux cimes blanches, les champs et cet imposant lac dont l'eau reflétait l'ardeur solaire. Plus qu'un paysage, c'était un nouveau tableau qui s'offrait à lui.

BCU ou Les murmures des SalvateursWhere stories live. Discover now