Chapitre 9

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 Lorsque Liesse aperçoit son père et Sasha, elle ralentit le pas. Ça n'empêche pas le jeune homme de la remarquer immédiatement, au bout du sentier.

‒ Y'a votre fille, déclare-t-il à Kévin.

Il se redresse, puis se masse le bas du dos.

‒ Lili, qu'as-tu fait de ta mère ?

‒ Elle est à mi-cuisson, en bord de rivière.

‒ D'accord, d'accord, répond-il distraitement.

Kévin poursuit le rangement de ses outils.

‒ Tu viens chercher ton vieux, t'es gentille !

‒ En fait, je venais voir Sasha.

Sasha plisse les yeux. Pour le reste, il demeure impassible.

‒ On a fini, je vais vous laisser entre jeunes. Sasha, tu prends soin de ma Lili, hein ?

Liesse sent le jeune homme pris au dépourvu. Elle se retient de rire, le pauvre doit penser à un guet-apens, lui qui n'a rien demandé et se retrouve avec elle. Kévin referme son sac à dos et quitte le mini chantier de fouilles, simplement recouvert d'une bâche.

‒ A plus tard !

Les deux adolescents se retrouvent face à face. Liesse se sent mal à l'aise et décide de briser le silence au plus vite, alors que Sasha la détaille encore du regard.

‒ Remarque, tu as peut-être quelque chose de prévu ?

‒ Je dois passer en ville.

‒ Ah...

‒ J'ai juste un pote à voir vite fait, mais tu peux venir.

Liesse comprend qu'il ne veut pas être brusque. Sasha espère sûrement qu'elle refuse.

‒ Okay.

Il referme à son tour son sac.

‒ Ça ne te dérange pas de marcher ? demande-t-il à la vue de ses claquettes plus adaptées à la mise en valeur de ses ongles vernis qu'à la randonnée.

‒ Non, ment-elle. Mais, c'est loin « la ville » ?

‒ Je coupe par le Parc National. Il y en a pour trente minutes, en marchant bien.

‒ Tu peux doubler avec moi.

Elle espère le faire rire.

‒ Je n'aurais pas le temps de t'attendre.

‒ Euh... oui, non, mais je vais faire un effort. T'es toujours aussi... militaire ?

‒ Hum...

Sasha prend la direction du nord, Liesse sur ses talons.

‒ Au fait, tu ne vas pas au lycée ?

‒ Non, j'ai 19 ans. Je travaille avec ma tante toute l'année.

‒ Okay. Et moi ? Tu ne me demandes pas ?

‒ De ?

Elle lève les yeux au ciel.

‒ Moi j'ai fini plus tôt les cours. Compliqué. Mais il ne me reste qu'une année. Sauf que le lycée m'ennuie beaucoup trop. J'ai hâte d'en finir, et de découvrir le monde, faire d'autre chose. Quand t'y penses, on est réglé des années, à se lever pour se retrouver en cours dans un système formaté qui ne convient à quasiment personne. On est maboule de s'infliger ça, non ! Avant l'école primaire, les enfants semblent épanouis... Oh, je m'en vais loin, là.

Sasha poursuit sa marche, mais il a attendu que Liesse se maintienne à son niveau.

‒ Je ne parle pas autant en général.

‒ Pourquoi voulais-tu me voir ?

‒ Ah, finalement tu poses des questions !

Elle ne sait pas comment interpréter son rictus : réel sourire, rictus moqueur, aigreur d'estomac ?

‒ Je trouve ça étonnant que tu aides mon père.

‒ Pourquoi ?

‒ Tu as l'air... Tu n'es pas du genre... Je sais pas, tu ne respires pas la chaleur et à la sociabilité quand on te voit.

‒ Et, tu juges tout le temps les gens que tu ne connais pas comme ça ?

‒ Euh... on est tous comme ça, non ? Dans la vie, on rencontre des milliers de personnes, pour faire notre sélection et voir lesquels nous semblent dignes d'intérêt, on juge forcément par la première impression...

Sasha s'est arrêté, il la regarde.

‒ Quoi ?

‒ Rien. T'as juste quelque chose d'intrigant.

‒ Ah bon ?

Liesse rit d'elle-même. C'est bien la première fois qu'on lui sort ça. Elle sent une étrange chaleur dans son corps, qui n'a rien à voir avec le soleil.

‒ Bon, en tout cas, désolée si ça te gêne de passer ton temps avec moi.

‒ Ça ne me gêne pas.

Sasha coupe par la colline, à travers champ.

‒ Hum... on dirait plutôt le contraire, mais bon... marmonne-t-elle avant de prendre son exemple et de franchir les barbelés.

Elle se félicite de ne pas s'accrocher sur les fils de fer.

‒ Tu connais le coin comme ta poche, donc ?

‒ Oui, j'aime me balader. D'ailleurs, depuis que tu es ici, as-tu seulement pris le temps de regarder où tu étais ?

Il lui montre la vallée. Couloir de forêt, de roches et de soleil. Insectes et oiseaux colorés s'envolent en volutes chatoyantes.

‒ C'est... pas moche.

Sasha sourit, juste un instant.

‒ Ta capacité à passer du sourire à la tête d'enterrement me fascine.

‒ On s'est bien trouvé, alors. Tu m'intrigues, je te fascine. Que nous réserve la suite ?

Il accélère le pas, comme s'il n'assumait pas sa phrase. Liesse le rattrape, un peu trop enjouée. Finalement, Jézabel était de bon conseil.

Le cœur en LiesseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant