Epilogue

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 La voiture est pleine à craquer.

Agatha a tenu à ramener d'autres pots de miel et des poteries, sans compter les deux boîtes de biscuits pour sa sœur et sa collègue de travail. Kévin parvient à caser une dernière valise dans le coffre avant de le refermer.

– Je sens que tout va se casser la figure quand nous serons rentrés ! affirme-t-il.

Sur la terrasse, Agatha signe le bon de sortie qu'une employée de l'agence de location lui a donné, après une inspection du bungalow à la va-vite.

– Je suppose qu'on est les derniers de la journée ?

– Oh, non, j'ai encore deux blocs à vérifier. La haute saison ne fait que commencer, ça ne s'arrête pas !

– Ah oui, finalement, les touristes sont revenus par ici.

– Eh oui ! Je vous souhaite une bonne route, madame et monsieur Absence. Au plaisir de vous revoir !

– Oh, oui, je pense qu'on reviendra. La région est magnifique !

L'employée leur fait un dernier salut, avant une marche arrière avec sa voiturette électrique. Elle se dirige vers la prochaine location.

Kévin tourne la clé, Agatha monte à bord. Derrière eux, Liesse reste mutique. Elle a été comme ça toute la journée, taciturne, l'œil dans le vague. Elle a pris soin de bien cacher le pansement de sa blessure en portant son gilet. Mais la blessure lui fait moins mal que la sensation dans ses entrailles.

Ses parents l'ont laissé tranquille. Ils savent quand marcher sur des œufs avec elle, notamment depuis son burn out causé par sa phobie scolaire. Et Agatha se rappelle très bien de ses propres départs de colos.

– Ah, les amours de vacances... Ça va aller, ma chérie ?

Liesse ne répond pas, appuie sa tête contre la vitre alors que le paysage commence à défiler sous ses yeux. La vérité, au-delà de la douleur de la séparation d'avec Sasha – il l'a bloquée sur les réseaux et Miriam lui a bien dit de l'oublier – c'est qu'elle se sent encore plus vide.

La vie n'a plus aucun sens. Comment reprendre son quotidien après tout ce qu'elle a vécu ses trois dernières semaines ?

Comment reprendre sa vie de lycéenne ? Oui, elle se sent emplie d'une nouvelle force. Oui, elle se saurait capable de retourner au lycée. Mais les premiers mystères qu'ils ont levé sont si importants et tant de réponses restent irrésolues. Le monde des gargouilles n'a pas livré tous ses secrets, et sa propre histoire reste aussi une énigme. Le Mal semblait la connaître, elle, la Faille, et pas seulement cet amour inédit qu'elle a fait naître chez Sasha.

L'avenir est si fade.

Pourquoi reprendre un cours normal, quand on a touché l'extraordinaire, et qu'on l'est sûrement soi-même ?

A mesure que son père roule, le cœur de Liesse se fait plus lourd. La tristesse, autant que la sidération monte en elle. La situation frise même le ridicule.

Non, elle ne peut pas faire semblant.

Non, ça ne peut pas se terminer comme ça.

Non, sa vie n'est pas tracée et il est le temps de faire un choix.

L'entrée de l'autoroute se présente déjà. Mais alors que Kévin retire le ticket et que la barrière se lève, Liesse en profite pour déverrouiller sa portière. Agatha se retourne, affolée :

– Liesse ! Qu'est-ce que tu fais ?

– Désolée, maman. Je ne peux pas rentrer avec vous.

– Quoi... que...

– Je vous aime si fort, mais ma place, pour le moment, elle est ici. Je reste !

Liesse se détache, sort de la voiture et referme la portière.

– LIESSE ! LIESSE ! Remonte ! C'est dangereux !

– Ne t'inquiète pas !

Agatha s'apprête à sortir. Mais Liesse passe la main par la vitre ouverte et tient celle de sa mère. Derrière eux, les voitures klaxonnent de mécontentement.

– Ça va aller, promet-t-elle.

Le contact de Liesse apaise autant qu'il perturbe Agatha qui en reste interdite. Liesse traverse les voies piétonnes du péage. Kévin démarre pour libérer la voie. Il espère pouvoir s'arrêter, mais c'est impossible dans ce couloir. Il roule plus loin, contenant sa propre incompréhension et tente de rassurer Agatha dont les larmes coulent.

Le corps de Liesse est encore plein de ressources. Malgré les courbatures, elle coupe à travers champ, se rappelle les chemins empruntés, celui de sa première balade avec Sasha, lorsqu'elle pensait qu'il n'était qu'un type arrogant, égoïste et peu intéressant. Elle sait où le trouver. Maintenant que sa saison en tant que gardien s'est terminée, il doit être à l'office ou chez lui. Mais dès son premier pas dans la forêt, elle entend crier son nom, de la bouche de l'homme qu'elle cherche.

– Liesse !

Sasha est là.

– Bien sûr, j'aurais dû m'en douter.

Sur la colline, le jeune homme la regardait partir, la vue donne sur l'autoroute. Finalement, il court pour la rejoindre. Elle reprend sa course. Elle le sent, c'est le bonheur qui la porte, la rend plus légère, accélère la cadence de son cœur et de ses jambes.

Les gens court après ce qu'ils n'ont pas. Mais là, Liesse le sait, elle a trouvé son trésor et plus rien d'autre ne compte. Elle veut simplement admirer ce qu'elle a, sous les yeux, et c'est lui.

Tant pis pour les conséquences.

Elle rit.

Lorsqu'ils se rejoignent, elle saute dans ses bras, et sa force à elle, devenue puissante envers et contre tout, cloue sa belle gargouille au sol.

Fin

Hugo Barriol, Dream

Le cœur en LiesseWhere stories live. Discover now