15 - Le seul maître à bord

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Octobre 2204 Après l'Ère Commune


Ellie ne quittait plus la bergerie qu'à titre exceptionnel, pour faire un tour aux toilettes ou prendre une douche express la plupart du temps, rien de plus. L'éventualité de croiser Falco dans les couloirs ne la réjouissait guère, non qu'elle craigne ce rustre – elle s'était déjà frottée à plus opiniâtre – mais elle préférait s'éviter une nouvelle confrontation aussi inutile que déplaisante. La solitude lui seyait bien mieux. Chacun chez soi et les moutons seront bien gardés, comme elle aimait à penser dans sa bergerie. D'autre part, elle s'accrochait toujours à l'espoir ténu de voir enfin Seth tomber dans son piège de la dernière chance.

Elle vérifia une énième fois le bon fonctionnement de son système de clôture électrique aérien, comme un tic qu'elle se sentait obligée de répéter à intervalle régulier, de sorte que c'en devenait presque une superstition. Ensuite, elle s'installa dans l'amoncellement de couvertures qui lui servait de lit et éteignit sa lampe de poche. La lumière grésillante du petit appareil électrique menaçait de rendre l'âme depuis plusieurs jours déjà, mais il ne restait plus de piles neuves pour lui accorder un dernier sursis. Comme d'habitude, Falco s'était attribué le meilleur matériel en mettant la main le premier sur une lampe équipée d'une manivelle de recharge, bien pratique dans leur situation.

Ellie trouva du réconfort en prenant une poignée de pâtes sèches dans le paquet posé à côté d'elle ; le dernier vestige de son braquage frugal dans le placard de Falco. Elle avait délesté l'homme d'une boîte de thon à la tomate qu'elle avait dégustée le soir même, ainsi que d'un paquet de fusilli qu'elle essayait de faire durer le plus longtemps possible. C'était trop risqué de se rendre à la cuisine pour cuire ces précieuses pâtes, alors elle préférait les manger croquantes sous la dent, par poignées parcimonieuses comme s'il s'agissait du dernier paquet de confiseries de l'univers.

La jeune femme ferma les yeux et ne put empêcher ses pensées de divaguer vers le mécanicien ingrat. Que faisait-il de ses journées depuis leur dernière rencontre houleuse ? S'obstinait-il toujours à essayer de reprendre le contrôle du Stockholm depuis un terminal secondaire qui n'était pas destiné à une telle tâche ? Avait-il envoyé le message qu'elle lui avait suggéré pour tenter d'appâter Seth ? Combien de boîtes de thon et de paquets de pâtes avait-il encore en réserve dans sa chambre...




Ellie se réveilla avec un picotement dans la nuque et la désagréable sensation d'être épiée. D'ailleurs, l'agitation des moutons confirmait ses craintes. Mais crainte n'était pas le bon terme, c'était plutôt de l'excitation qu'elle ressentait, une envie impérieuse que quelque chose se passe enfin, que Seth se passe...

Une faible lueur verte s'aventurait dans la bergerie par la porte ouverte et une silhouette à peine plus sombre que le fond sur lequel elle se découpait était visible. Il était là. Il n'était pas passé par le plafond. Il avait déverrouillé les portes à l'intérieur du vaisseau pour arriver ici.

Ellie se releva avec précipitation, les jambes empêtrées dans ses couvertures. Elle renversa le paquet de pâtes en fin de vie, posa le pied sur la lampe de poche, glissa, se releva. Essoufflée par l'accélération trop soudaine de ses battements cardiaques, elle n'était plus qu'à mi-chemin de la porte lorsque celle-ci coulissa dans un sifflement en se refermant.

— Seth ! cria la jeune femme dans ce qui sonnait autant comme un ordre qu'une supplique.

Elle tambourina à la porte, s'énerva sur le panneau de contrôle, tambourina encore. La raison finit par reprendre le dessus et elle cessa ses turbulences stériles. Le fourbe l'avait enfermée dans la bergerie...

StockholmWhere stories live. Discover now