Chausse tomate

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Aujourd'hui Mira a voulu faire un cadeau à Simon, et lui a offert deux nouvelles paires de chaussettes Spiderman (c'était les soldes! Deux pour le prix d'un ! Une affaire !). Toutes neuves. Sans trous. Intactes. Aussi belles que moi. Identiques.

C'est horrible.

Je ne suis donc que ça ?

Du tissu produit à l'échelle industrielle, transformée comme d'autres milliers, et teinté des mêmes couleurs et motifs que tant d'autres produits dérivés du film connu par tous Spiderman.

Je suis identique, banale.

Les machines ont été programmées pour me créer, ont décidé de mon allure, de mon apparence, de mon rôle : tenir chaud au pied.

Et je n'y peux rien.

J'ai appris à en être fière, mais face à ces deux clones, je doute.

En quoi suis-je différente de toutes les autres?

Simon aurait pu avoir une des autres chaussettes, ce n'est que le hasard qui lui a fait choisir cette paire, moi.

Mais...

Qui suis-je ?

Je ne suis qu'une chaussette.
Pourquoi on nous appelle des « chaussettes » d'abord hein? On dit maisonnette pour petite maison. Fourchette pour petite fourche. Baguette pour... Ah non là ça ne marche pas. Bref.

Est ce qu'ils indiquent que nous chaussettes sommes des petites chausses ?! Parce que non, nous ne sommes pas que des versions miniatures d'un idéal passé ! Nous ne sommes pas qu'une maquette, qu'une comparaison aux autres ! Et puis, qui dit que les chaussettes ont moins d'importance que les chausses ? Pourquoi les chausses seraient-elles supérieures à nous seulement à cause de la création du mot "chaussette". Tout ça parce qu'on est arrivées après.

Chaussette. Petite chausse.

Ça veut dire qu'étant rouge je serai directement classée en "petite chausse tomate" ?

Mes pensées sont interrompues par la voix forte du père de Mira: "Les pâtes sont servies avec la petite sauce tomate que tu préfères Mira! "

Hein? On parle de moi ? Est ce qu'il lit dans mes pensées ? Ça veut dire qu'il sait ce que je pense maintenant? Si tu lis dans mes pensées dit "thon".

"T'inquiète pas je n'ai mis aucun thon!"

Alors cher père de Mira, cher personnage dont on a jamais entendu parler mais qui doit exister car deux enfants vivant sans parents c'est assez inhabituel, que penses-tu de mes pensées ?

"C'est encore chaud ! SIMON! MIRA! DEPECHEZ VOUS CA VA REFROIDIR ! "

Comment ça "chaud"? Peut-être que c'est une métaphore pour mon esprit en ébullition. Et je dois "me dépêcher", mais de faire quoi? Je suis incapable de faire quoi que ce soit ! Je vais refroidir. Dans quel sens? Est-ce que cela signifie que je suis destinée à être ce pour quoi on m'a créée, que je dois refroidir le feu de mon mécontentement et accepter ma vie de chaussette?

A quoi cela sert de lutter contre un nom qui m'a été attribuée toute ma vie... Je m'y suis habituée, attachée. À présent, je n'y peux rien, je me définis ainsi: chaussette.

Mais j'aurai préféré un nom plus classe comme : "vêtement indispensable et sublime qui assure le confort des pieds et qui par sa présence éclaire le monde de sa lumière intérieure majestueuse tout en fournissant une lecture plus ou moins sympathique à des lecteurs qui lisent l'histoire d'une fille un peu dérangée". Simple et efficace. Mais ce n'est toujours pas assez. Je veux être... Plus.

Et puis, je ne suis pas qu'une « chaussette » parmi d'autres.
Je suis unique.

La preuve: Simon n'a toujours pas touché aux nouvelles chaussettes!

Heureusement qu'il est là pour me rappeler de ma magnificience!

Décidément, je l'aime bien, ce gamin.

Trouver chaussette à son piedOù les histoires vivent. Découvrez maintenant