Chapitre 32 - À bord du HMS Menelas

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Arcas, contrairement à sa sœur, avait le pied marin et puisqu'il ne passait pas ses journées, penché par-dessus le bastingage, il pouvait comprendre la passion qu'avaient certains hommes pour l'océan. Mais il devait avouer qu'il se sentait un peu à l'étroit sur cette coque de noix. Même si le HMS Ménélas était un grand navire, la pleine lune approchait et avec elle son impatience augmentait. Il voulait se battre. Bien sûr, il devait éviter de le faire à bord contre ces hommes qui étaient ses alliés. Malgré tout, une petite voix dans sa tête qui croissait chaque jour davantage lui murmurait : celui-là te regarde de travers, brise-lui le cou ; celui-ci t'a bousculé, balance le par-dessus bord, on verra bien s'il sait nager. Puis il pensait à Elle et les chuchotements s'apaisaient.

Mrs Cabell.

Il avait été au désespoir quand il avait d'abord appris qu'elle était mariée. Mais une rapide enquête auprès des autres infirmières, particulièrement obligeantes à son égard, lui avait apprise qu'elle était tout juste veuve, que son vieux mari cacochyme était mort après qu'elle ait veillé sur lui des années durant et que voulant être utile, elle s'était lancée dans cette aventure. C'était admirable soupira-t-il.

Une vraie sainte.

Même si la dame de ses pensées était apparemment libre de toute attache, elle l'évitait du mieux qu'elle pouvait.

Toutes ses tentatives pour gagner ses faveurs n'avaient abouties qu'à des échecs cuisants.

Les sourires en coin : raté.

Les clins d'œil de connivence : aucun effet.

Secouage de cheveux blonds dans la brise du large : échec critique.

Elle semblait complètement imperméable à son charme. Et c'était une véritable nouveauté pour lui.

Bien sûr, il avait considéré sa beauté comme une sorte de malédiction au vu des ennuis qu'elle lui avait causé, mais elle était là et elle remplissait toujours son office. Il était assez ironique que la seule femme à y être insensible soit la seule pour laquelle il n'ait jamais éprouvé de tels sentiments. Il n'arrivait pas encore à savoir de quelle nature exacte ils étaient, mais si elle n'acceptait pas même de lui adresser la parole, il ne risquait pas d'y voir plus clair.

Cassandre adorerait ça.

Jamais il ne lui en parlerait évidemment, sinon ce serait un sujet de moqueries jusqu'à leurs quatre-vingts ans.

Rien ne l'obligeait à soupirer des semaines durant en regardant l'horizon et en récitant de la poésie. Puisqu'il ne pouvait pas décemment tuer de soldats anglais pour se détendre, ni conter fleurette à sa charmante veuve au parfum envoûtant, il se décida à fraterniser avec certains camarades de voyage.

Pour cela rien de plus facile, il suffisait de perdre aux dés.

Il perdit.

Un peu.

Suffisamment pour paraître sympathique.

Et il gagna.

Un peu.

Suffisamment pour ne pas passer pour un pigeon.

Et voilà le secret de l'amitié masculine.

Ils oublièrent le fait qu'il était français, qu'il portait un uniforme qui au mieux était original au pire carrément ridicule et comme ni leurs amoureuses n'étaient dans le coin, qu'ils avaient envie de lui refaire le portrait pour réarranger à leur goût ce visage d'Apollon du belvédère.

Le major Sawyer fit remarquer que le lieutenant d'Arlon avait l'air solide. Il s'était rendu compte qu'il ne ferait pas fortune en plumant le jeune français, mais n'abandonnait pas l'espoir de finir la journée plus riche que qu'il ne l'avait commencé. Le groupe de joueurs de dés se lança des regards entendus. Sawyer était un vieux renard et lorsqu'il proposait une combine, on n'avait pas à regretter d'être rentré dans la danse.

Les cinq soldats conduisirent Arcas donc à grand renfort d'amicales tapes dans le dos, sur le pont arrière du bateau auprès d'une petite troupe appartenant à un régiment de sapeurs.

Ils jaugèrent les impertinents importuns. Le pantalon d'Arcas lui valut quelques piques qu'il ignora royalement, et les anglais s'échangèrent quelques mots bien sentis. Le baron D'Arlon était en train de se demander à quelle sauce on prévoyait de le manger et s'il n'aurait pas mieux fait de déclamer des vers de Lamartine à la proue du navire.

– On a un client, lança Sawyer à l'assemblée en souriant de toutes ses dents de travers.

Un homme se leva en dépliant lentement sa grande carcasse. Au milieu des autres, il était immense.

Il devait faire à peu près la taille de son beau-frère soit près de deux mètres. Harispe était à peine moins grand, mais tout se jouait au niveau de la carrure. Alors qu'Arcas avait la silhouette élancée d'un coureur, l'homme qu'il avait en face de lui, était l'image vivante de ce que l'on avait coutume d'appeler une armoire à glace. Un rectangle d'un mètre de large sur presque deux de haut, dans lequel on semblait avoir enfoncé à coups de masse une petite tête rougeaude, surmontée d'un duvet roux que ceux qui en sont affligés, appellent blond vénitien. Arcas se demanda quels genres d'activités vous transformaient en parallélépipède.

Il se tourna vers le major Sawyer et l'interrogea sans détour : pourquoi l'avait-il emmené ici ? Il craignait le pire.

– Pour faire des paris.

– Oh ! Je vois ! Mais quitte à vous surprendre, je n'ai pas très envie de me battre contre... ce monsieur si avenant.

– Le soldat Cole.

– Contre le soldat Cole.

– Vous n'allez pas vous castagner contre lui lieutenant. On n'est pas fou ! Il écrabouillerait votre gueule d'ange et les dames ne nous le pardonneraient pas. Vous devez y tenir à votre nez d'aristo.

– Raisonnablement.

– C'est un concours de force. Il faut tordre du métal.

– Vous m'en direz tant. Voilà une activité plus originale que les dés.

– Ça vous change du thé le petit doigt en l'air, pas vrai ! On commence par des clous.

– Et il faut le battre à ce petit jeu ? demanda Arcas.

– Le battre ! Non ! Allez le plus loin possible c'est tout ce qu'on vous demande.

– Et j'y gagne quoi ? À part des courbatures.

– Notre reconnaissance et notre éternelle amitié, déclara Sawyer avec un sourire filou.

Le jeune baron se dit qu'après tout il n'avait rien d'autre à faire et que ces hommes avaient visiblement besoin de distractions, celle-ci n'était pas bien méchante et ne leur vaudrait guère d'ennuis.

– Pourquoi pas ! 

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant