Quand les loups se mangent entre eux

Chapitre 41 - Ring

Joshua n'avait aucun rendez-vous.

Brogan le savait. Il n'était pas stupide, lui et Gaëlle avaient dû trouver son attitude parfaitement puérile. Il avait fui comme un renard devant une meute de chiens.

À présent, il se tenait au milieu de la rue, comme sonné, mais penser à Cassandre le faisait souffrir ses derniers temps. Souffrir à cause de cette harpie le mettait dans une colère noire, il fallait qu'il cesse de penser à elle. Résolu à écraser sa culpabilité et tout autre sentiment qu'il pourrait avoir à son égard, il se rendit immédiatement à son club de boxe.

Les quelques habitués s'écartèrent prudemment de lui lorsqu'il entra dans la salle d'entraînement. Déjà en temps normal, il ne faisait pas bon combattre lord Blake, à moins d'avoir l'envie tordue de se faire attendrir la couenne sans espoir de pouvoir répliquer. Mais aujourd'hui, il avait l'expression d'un homme qui voulait briser quelques os. Si ces messieurs se rendaient chez Broughton, c'était pour garder la forme, pas pour perdre des dents.

Des jeunes gens efflanqués et blancs comme du linge passé à l'eau de Javel, tentaient désespérément de se forger une silhouette d'athlète en utilisant les agrès. L'un d'entre eux, quand il vit les muscles saillants roulants sous la peau halée du torse de Lord Blake, jeta littéralement l'éponge, il sortit du gymnase en criant : "Mais à quoi bon !".

Joshua, qui remontait les manches de sa chemise, n'y prêta guère attention. C'était une chose habituelle ici, et c'était bien le seul endroit où il sentait que ces parfaits gentlemen enviaient sa carrure. En dehors de ces murs, ils percevaient leurs regards moqueurs où dégoûtés pour son allure... de sauvage.

Mr Cook, le gérant de cet établissement, lui avait dit un jour que s'il ne payait pas rubis sur l'ongle, cela ferait longtemps qu'il l'aurait mis à la porte car il décourageait ses clients avec sa carrure d'Hercule.

Mr Cook vint le saluer ce-jour là avec une lueur malicieuse dans le regard qui ne présageait rien de bon.

– J'ai un nouveau gamin qui je le pense vous donnera du fil à retordre milord.

Au milieu du ring se tenait un gaillard qui réussissait l'exploit d'être plus grand et plus large que lui.

Cook lui écarta les cordes. Joshua alla saluer le jeune homme qui lui répondit timidement mais avec un fort accent cockney. Il avait les dents du bonheur, le nez écrasé de ceux qui se l'on fait briser plusieurs fois et qui lui donnait le faciès typique des boxeurs chevronnés. Il était donc jeune mais avait du métier et si Cook jugeait bon de le faire combattre contre lui, c'est qu'il avait du répondant. En toute autre occasion Blake aurait certainement apprécié le challenge, il n'avait rien contre un bon défi de temps à autre mais aujourd'hui, il n'avait pas la tête à ce qu'il faisait. Et c'est sans peine que son jeune sparring partner passa sous sa garde et lui décocha un crochet du gauche à la tempe qui lui fit voir trente-six chandelles. Il se vengea en le travaillant au corps, comme s'il était un vulgaire sac de viande, mais le cockney se défendait bien et rendait coups pour coups et il finit par lui administrer un direct au foie qui plia Blake en deux. Joshua émit un son plus proche du feulement d'un tigre qu'un cri humain de douleur. Il se ramassa sur lui-même et se projeta en avant, saisissant le boxeur par la taille...

Il reçut un seau d'eau en pleine face.

Cela mit fin à l'entraînement.

Cook, fulminait, il se tenait debout sur le côté du ring, son seau désormais vide dans les mains. Il fit un signe de tête à Joshua pour qu'il sorte. Le jeune lord tira rapidement sur sa chemise pour la remettre en place.

Certains qui s'étaient approchés pour mieux profiter du spectacle le dévisagèrent, horrifiés, il préféra penser que ce n'était pas parce qu'ils avaient eu un aperçu de la peau de son dos, il détestait qu'on ait pitié de lui

– Mon garçon ! Vous n'avez pas la tête au combat. Mais ce qu'on fait ici, c'est sérieux. Si vous voulez juste vous calmer les nerfs. Vous vous êtes trompé d'adresse. Ce gars-là, il ne peut pas se permettre de rester plusieurs jours sans travailler parce qu'un riche monsieur avait de la tension à évacuer. C'est pas son job. Compris !

Après s'être fait recadrer comme un bambin, Joshua, penaud retourna dans les vestiaires reprendre ses affaires, puis laborieusement, il rentra chez lui.

Il fut accueilli par un hoquet horrifié de John, le majordome.

– Milord ! Une poche de glace pour votre œil peut-être ?

– Il va me falloir plus que ça, mon vieux.