Chapitre 1

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J'étais assise sur ma chaise, enfin elle ne l'était pas vraiment. C'était une chaise parmi tant d'autres mais elle était celle que je choisissais chaque fois que je m'asseyais dans cette salle miteuse, certes, mais agréable pour son calme. Je corrigeais mes feuilles comme à mon habitude. Mes élèves étaient surprenant de jour en jour mais pas pour leurs talents en littérature ou en écriture. Pour leur manque de créativité, d'orthographe et de politesse. Je devais leur paraître coincée lorsque l'envie me prenait de m'énerver contre la moitié de la classe qui n'avait pas compris les consignes et l'autre qui n'avait pas de texte lisible. Mais ils m'aimaient bien pour ma franchise, surtout mes blagues, et la patience que je leur accordais à chacun. Ou alors, le respect qu'ils m'accordaient devait venir de ma tenue, j'avais pour habitude de porter une chemise blanche ou bleue selon mon humeur, avec un pantalon de couleur pour égayer le tout. Ajoutez mes nœuds papillons et bretelles plutôt originales, je l'avoue, qui me permettaient de garder mon style non-professionnel dans ma tenue de travail. J'étais excédée par mes copies, mais heureusement ma chaise, ou plutôt la place qu'elle occupe me permettait d'avoir vue sur le parc de l'école, un moyen de s'évader pour toutes les grandes rêveuses comme moi. Ma grand-mère me disait "Toi et tes jolis yeux noisette aux éclats de vert, faites de beaux rêves". Et je m'endormais dans ses bras. Je n'aurai eu qu'un souhait : pouvoir dormir sur le moment, durant ma pause de midi qui commençait à peine. Mais mon portable sonna, je dus me résoudre à décrocher en voyant que c'était mon amie Jo :

-Allô ?

-Parfait ! Tu es en pause ! Rendez-vous chez Duke's dans dix minutes ? Je te prends ton omelette et ton café nappé au caramel et à la chantilly.

-Merci, même si je crois être obligée de dire oui. 

Et je décrochai aussi vite que le débit de parole de Jo dans cet appel. Je pris un tas de copies avec moi, mais en me doutant bien que je n'allais pas pouvoir finir ça ailleurs que chez moi. Je pris mes clefs de voiture, mon sac, ma veste en jeans aux dizaines de pins et partis à bord de ma Ford Anglia rouge, choisie parmi des centaines de véhicules d'occasion pourtant moins vieux, je l'avoue. Duke's n'était pas si loin de Riddle High School, le lycée où j'enseignais. C'était un pub aux allures rétro américaines qui me plaisait beaucoup, ainsi qu'à Jo. Ainsi rentrée dedans, elle était au comptoir avec un café qui devait être serré noir accompagné d'un léger soupçon de sucre, aussi amer qu'elle pouvait l'être parfois. Elle avait un journal à la main, pas dans son habitude, elle préférait le petit écran de télé posé près des cuisines. Je m'installai et une assiette fumante fût déposée immédiatement devant Jo et moi-même.

-Les nouvelles sont bonnes ? Tu bosses toujours sur l'affaire voiture cramée ?

-Oui, justement, on a du nouveau, mais pas grand chose. Sauf qu'ils ont écrit mon prénom en entier dans ce fichu journal. Je leur avais précisé "Jo" et non Georgia.

En effet, Jo détestait son prénom, rappelant ses souvenirs familiaux aux sombres mystères. Elle avait, dès son plus jeune âge, demandé à ses proches amis de l'appeler ainsi. Je distinguais en première page de la gazette : Georgia Hart avance et s'exprime sur le désormais meurtre à la voiture carbonisée. Cela faisait des mois que la police de Riddle travaillait sur ce massacre concernant Lise, une amie qui m'avait été chère au collège mais que j'avais perdue de vue par après pour des parcours différents, pourtant elle habitait presque à côté de chez moi. J'avais sur le coup, quand on me l'avait appris, eu quelques larmes et un pincement au cœur. Malgré la distance, elle restait quelqu'un d'appréciable, une boule d'énergie, toujours souriante et originale. J'avais également ressenti de la colère pour celui qui lui avait ôté la vie, à cette innocente pleine de promesses pour son avenir qui s'annonçait brillant. J'espérai que le coupable payerait désormais en prison mais il était pour l'instant introuvable. 

-On a fait analyser, en plus de la voiture en morceaux, les parterres autour de la maison mais également aux alentours, reprît Jo. Chance que les trottoirs soient trop coûteux à notre patelin et qu'ils ressemblent à de la boue. On a remarqué des empreintes par centaines : des voisins qui tournent toujours à leur maison, des gens de passage pour une seule fois dans la rue, mais une et une seule empreinte a retenu notre attention. Elle s'arrête sur le trottoir juste en face de la maison de Lise puis refont demi-tour plusieurs fois. Les dernières sont datées de quelques heures avant la mort de ton amie car elles sont sèches, et il n'a pas plu depuis le meurtre. On demande au labo de les analyser, puis de dresser une liste des boutiques qui ont vendu ce type de chaussures ces dernières années. Voilà un avantage de la mode, c'est que les collections ne durent jamais plus de cinq mois.

-Heureusement que j'étais là pour l'idée de la boue...

-C'est-à-dire ?

-Tu ne te souviens pas ? Je t'avais suggéré de prendre les empreintes dans la boue qui constitue les trottoirs du quartier où elle vivait. Tu m'avais répondu que c'était ridicule car il y avait bien trop de passage. Je ne suis pas chef de police mais je regarde assez de séries pour avoir quelques notions. 

-Bien-sûr que c'était ridicule, on ne savait pas si il avait plu entre temps, il fallait réunir toute une équipe qui allait coûter bonbon, alors que l'on était pas sûr de ne rien trouver sur la voiture carbonisée. Et moi aussi j'avais eu l'idée, j'avais juste un peu de réticence de la proposer à mon patron.

J'adorais Jo, elle était une amie fidèle, bonne vivante, toujours prête pour des improvisations. Mais elle avait ce défaut agaçant de vouloir toujours avoir raison. C'était plus fort qu'elle. On aurait dit qu'il lui coûtait la vie de s'avouer vaincue. Je ne perdais plus mon énergie à la convaincre d'une autre opinion que la sienne. J'étais trop gentille pour lui exploser à la figure une bonne fois pour toute. Et je savais avoir raison, c'était le principal. Mon ego était rassasié.

-D'accord, très bien, repris-je. En attendant j'espère que les résultats du test seront concluants. Tu me tiendras au courant, moi je reprends mes cours dans une petite demi-heure, je vais tout doucement commencer à partir.

-Tu sais qu'il n'y a pas dix minutes en voiture jusque l'école ? Et qu'il te reste donc, au plus, vingt minutes avant de démarrer pour être à l'heure ?

-Tu me connais, j'ai toujours peur d'être en retard, je déteste ça. Mais c'est plus fort que moi. Je file dans dix minutes, ok ?

-Ok, ce n'est pas moi que tu pénalises de rester la plus incroyable chef de police et la fille la plus drôle de tout Riddle.

Nous éclatâmes de rire, c'était ainsi que j'adorais passer du temps avec Jo, en rigolant de nos conneries d'ado, en parlant de tout et de rien, en critiquant les gens qui passaient devant nous, surtout les personnes "à la mode" selon tout un tas de magasines féminins rassemblant les clichés les plus sexistes pour les femmes. C'était finalement ça qui me permettait de tenir bon, pourtant toute seule chez moi. 

ImprobableDonde viven las historias. Descúbrelo ahora