Chapitre 4

25 0 0
                                    

Le lundi suivant, je me levais difficilement. C'était, de loin, la journée la plus pénible de la semaine. La plus longue des autres mais également la plus calme. Je n'étais pas une grande amie de l'aventure et de l'inconnu, loin de là, mais si mes élèves avaient été plus réactifs à mon cours, j'en serais ravie. Les élèves de troisième sont les pires, soit ils sont encore des enfants de primaire pour certains, soit ils sont en pleine adolescence rebelle. Le tableau était infernal. Et cela tombait plutôt mal que l'on m'ait assigné trois classes sur les cinq de troisième le lundi matin dès huit heures. Mais je ne démotivais pas malgré la tonne de choses que j'avais à faire dans mon planning. Il était vrai que j'avais laissé Sam dormir à la maison samedi soir après notre marathon Wes Craven, son réalisateur fétiche. J'avais donc décidé de travailler sur mes copies à corriger et de faire mes courses le dimanche après-midi. Mais la procrastination et ma longue conversation avec Penny avaient emportés le dessus sur le reste. 

Après le samedi après-midi bien chargé, j'avais repensé à Penny et avait voulu lui téléphoner pour prendre de ses nouvelles. Un petit moment avait passé depuis notre dernière conversation. Mais Penny avait eu l'ambition de devenir actrice, avait quitté Riddle et s'était lancée dans la ville, seule, sans repère. Je l'admirais pour sa capacité de dépassement, d'ambition et de confiance en elle. Elle n'avait pas réussi comme elle le pensait, mais nous l'avions toujours soutenue dans ces petits projets de films, séries qu'elle avait intégré en tant que petits rôles. Elle était ensuite revenue s'installer en périphérie de notre petite ville pour élever son fils, venant d'un pur accident avec un homme qui lui avait mis une épine dans le pied puis qui avait retourné sa veste, lui avait menti, mais elle avait décidé de le garder ce bébé. La distance avait été une excuse de ma part pour m'éloigner d'elle car malgré son amitié profonde, son caractère pouvait me paraître bancal à certains moments, voire désagréable. Nous nous étions disputées il y avait un moment, mais après la réconciliation, plus rien n'était le même, je m'étais rendue compte que certaines de ses manies, pensées, pouvaient me paraître sans-saveur. Sauf qu'elle était, dans ses meilleures phases, de la plus grande des loyautés. Mais dans ses plus mauvaises phases, elle pouvait devenir exécrable. 

J'avais attrapé le téléphone après que Sam fût parti et avait composé le numéro de Penny :

-Allô ? dit-elle de l'autre bout du fil.

-Hey, Penny ! Comment vas-tu ? J'avais besoin de  t'entendre, je me suis dit que ça faisait longtemps !

Un silence se marqua.

-Oh une revenante ! Je vois que mes amis me portent beaucoup d'intérêt pour ne penser à moi que maintenant. Ou alors ils étaient trop occupés, sans moi. Cela fait combien de temps ? Un mois ou deux ? 

-Je suis désolée, j'étais fort occupée dans mon travail et puis avec la mort de...

Elle ne me laissa pas le temps de finir qu'elle explosa telle une bombe.

-Oh, beaucoup de travail, je crois que tu te la coules douce avec tout l'argent amassé avec ton livre, tu n'as pas un gosse à élever avec un salaire minime d'assistante en prise de parole au tribunal de Riddle. Et puis après cet accident tragique de ton amie, tu aurais pu venir me voir pour te consoler, j'aurai su t'écouter. Mais au lieu de ça, tu es restée enfermée dans ton coin. Ma maison n'est pas à l'autre bout du monde tout de même, je suis à quelques kilomètres de ton petit chez-toi que tu ne quittes jamais pour venir me voir.

-Je suis sincèrement désolée encore une fois, je me sens coupable de t'avoir infligé ça. Mais j'aimerais me rattraper, si je t'appelais c'était pour que l'on puisse se voir, Alix, Jo, toi et moi, comme avant, notre quatuor de fantastiques. 

-Je t'écoute.

Elle avait l'air de s'être calmée.

-Une raclette à la française chez moi le week-end prochain ? 

-Je vais regarder dans mon agenda, je ne sais pas si je suis libre.

Elle avait dit ça d'un air hautain pour me faire croire à un surplus de choses à faire comme si les miennes étaient un mensonge.

-C'est bon je note, on se recontacte plus tard, je dois aller faire mes courses.

Mes courses ! J'avais oublié de les faire et je devais encore travailler pour l'école.

-Très bien, à samedi alors.

J'étais déjà énervée par ce coup de fil quand je me rendis compte que mes copies à corriger ne l'étaient pas et que j'avais annoncé une dissertation à mes élèves sans avoir déjà préparer un sujet à leur donner le lendemain. J'étais envahie par le monstre de la quantité. Je pris l'une des décisions des plus fainéantes de toute ma vie : ne pas donner la dissertation demain, ils seraient content mais en échange, leur demander de me laisser le temps de corriger leurs contrôles de la semaine passée sans réprimandes.  À croire qu'ils aimaient recevoir leurs mauvais points très vite. 

Bref, on était lundi, et j'attendais le temps de midi pour pouvoir sortir de ma routine et partir en recherche avec Jo. Mes élèves endormis devant moi, j'imaginais la tête de Penny quand nous aurions sonné à sa porte pour lui poser une question sur ses chaussures, tandis que ni moi, ni Jo, n'avait une passion pour ce genre de choses censées être "féminines". Disons que malgré mon caractère calme et incapable de briser les règles, j'étais, par contre, tout à fait apte à casser les codes. Ne parlons même pas de l'audace de Jo qui aimait les émincer en miettes, transgressant les lois à certains moments dans un rôle de policière hors-pair. Un paradoxe qui lui correspond à la perfection, sinon elle se serait lassée bien vite de son rôle de représentante de loi.

Quand la pause de midi sonna, j'étais, pour une fois, plus enthousiaste que les élèves de quitter la classe. Mais avant de pouvoir sortir de l'école, je fus interceptée par le professeur d'histoire-géo, Charlie. Et j'avoue qu'il me faisait de l'effet, il avait des jolis yeux bruns clairs, s'habillait d'une façon qui ressemblait à la mienne, et il était beaucoup moins machos et aigris que le reste des professeurs de l'école. 

- Salut Jane... J'avais une question...

Il semblait qu'il avait déjà pris un grand courage pour venir jusqu'à moi et je sentais qu'il était stressé. Mais je n'étais pas en meilleure position, j'avais l'impression que je dégoulinais de partout et mes joues devaient être rouges comme des tomates.

-Oui, je t'écoute

-Je me demandais si tu souhaitais venir manger avec moi ce midi, à l'endroit que tu choisiras.

Il avait dit ça à la vitesse de l'éclair comme si il avait voulu vite recracher la patate chaude qu'il avait dans la bouche et ainsi faire passer le plus vite possible la douleur de la chaleur, ou ici, le stress. C'est alors que je me détestais d'avoir accepté de venir avec Jo' cette après-midi. Elle avait prévu des sandwiches pour nous deux. Mais je ne pouvais pas faire passer une occasion en or comme celle-ci. Je commençais à réfléchir à plusieurs façons de se sortir de cette situation. Est-ce que j'acceptais et trouvais une excuse pour arriver en retard à la patrouille ? Même si j'allais devoir faire semblant de ne pas avoir mangé et m'empiffrer doublement. Ou alors je proposais une autre date à Charlie ? Sauf qu'il allait peut-être croire que je ne voulais pas de lui. J'étais dans une situation compliquée et le stress m'envahissant, je répondis de la façon la plus stupide qui soit :

-Malheureusement, je ne peux pas, je vais aider une amie policière pour son enquête, ça a l'air super chouette.

Pas une autre proposition de date, pas un sourire, rien. En plus de ça, cette histoire sonnait tellement faux. J'aurais voulu recommencer, reprendre les mots qui venaient de sortir, mais il se contenta d'un "OK" déçu pour repartir. Je me détestais et avant qu'il ne tourne dans le couloir je criai :

-Charlie, mais demain je suis libre pour toi... Enfin pour manger avec toi.

Il était désormais plus souriant et je souriais à mon tour aussi grâce à lui. J'avais réussi à me rattraper mais quelle idiote je faisais de ne pas lui avoir posé la question correctement dans la même phrase.



You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Apr 28, 2019 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

ImprobableWhere stories live. Discover now