Les histoires dans mes yeux - Journal de rêves

L'excroissance de son cœur

Une femme entre brusquement dans un restaurant de quartier. Elle semble être terrifiée, comme si elle était poursuivie. Elle possède visiblement à la place du cœur une excroissance mécanique. 

Elle s'assoit à une table et essaie de se faire oublier mais les personnes autour d'elle semblent perplexes face à la peur qui émane de cette femme. Personne n'est perturbé par ce cœur si particulier. Ils savent tous qu'elle est une humanoïde.

Une autre femme rentre dans le restaurant. Elle semble sûre d'elle, terrifiante. Elle se dirige vers la jeune femme apeurée, qui ne peut plus s'enfuir. Elle s'assoit à côté d'elle.

- A quelle heure es-tu entrée dans le restaurant ?

- Je... ne sais pas...

- De quelle couleur est la devanture ?

- Je n'ai pas fait attention...

La femme rude soumet la jeune humanoïde à un test de mémoire, de détails qui auraient dû imprégner ses souvenirs. Les questions ne sont pas concluantes. Les deux femmes se lèvent et se dirigent vers la sortie. Des hommes armés les attendent à l'extérieur mais dans un sursaut d'instinct, un mouvement de survie, la jeune femme réussit à leur échapper et s'enfuir.

Après avoir couru, longtemps, dans des ruelles crasses et sombres, elle trouve refuge ailleurs, dans un appartement caché et vétuste, où d'autres humanoïdes comme elle tentent de se faire oublier. Ils ont tous des plaies, de la peau déchirée laissant découvrir des organes technologiques... Le répit sera de courte durée. Leurs tortionnaires finissent par défoncer la porte d'entrée. Ils se font tous rouer de coups, la jeune femme saigne et la peau autour de son cœur est arrachée. Un gars armé l'emporte de force, la séparant des autres.

Il l'emmène devant un immense bâtiment d'un blanc parfait, au design moderne et épuré entouré de quelques arbres d'un vert irréel. L'endroit est reculé du reste de la civilisation et le gazon s'étend jusqu'à l'horizon. Ils entrent et le soldat l'accompagne jusque dans une pièce dont il ouvre la porte. La jeune femme s'y aventure et aperçoit en premier le pan de mur qui lui faisait face et qui n'était en réalité qu'une grande baie vitrée donnant sur un jardin coloré, plein de fleurs butinées par des papillons. Elle est subjuguée par cette vue.

L'homme se poste devant la porte pour l'empêcher de sortir, mais la laisse malgré tout évoluer en toute liberté dans cette pièce. Après quelques minutes à observer le tableau que lui offrait la vitre, elle se tourne enfin et aperçoit sur sa gauche un jacuzzi dans lequel flotte à sa surface des pétales de rose. Un peu plus loin, elle remarque un immense lit moelleux qui lui aussi avait eu droit aux pétales sur ses draps blancs immaculés. Tout était parfait.

Une douleur au niveau du cœur la rappelle à la réalité. Elle était toujours en sang et faisait sans doute tâche dans cet environnement si particulier.

Elle se retourne vers lui.

- Cet endroit est sublime mais... je ne comprends pas. Et je ne peux certainement pas faire confiance à quelqu'un qui m'a frappée.

Sur ces mots, elle tente de l'esquiver et se rue vers la porte ouverte. D'un seul bras, il la maintient, si facilement que la jeune femme sent monter des larmes de désespoir et de frustration alors qu'elle tente de le frapper du peu de force qu'il lui reste.

Il touche à quelques boutons d'une télécommande et un pan de mur laisse découvrir une machine à laquelle il attache de force la jeune femme, qui s'éteint immédiatement. La machine peut alors commencer son travail, et troque le corps complètement abîmé pour un autre, très différent, mais neuf. Quand elle rouvre les yeux, toujours attachée, elle le sent bien. Elle n'a plus mal, elle est apaisée. 

Plus tard, cette femme réapprendra ce qu'elle pensait ne plus jamais pouvoir faire : voler, s'élever dans les airs. Elle est heureuse, en s'entraînant dans ce paysage qu'elle avait admiré depuis la baie vitrée. Une voix l'encouragera, celle de cet homme dont la veste posée au sol ne cache plus désormais, l'excroissance de son cœur.