Chapitre 3 : L'Ange Gardien

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Plongée dans l'incompréhension, je dévisage la serveuse qui m'adresse un sourire réconfortant avant de foncer à l'autre bout du bar remplir deux nouvelles pintes. Puis mon regard se porte à nouveau sur le cocktail. Un dégradé allant du rouge foncé au rose pâle, du sucre éclatant sur le rebord du verre, une petite ombrelle blanche. C'est délicat et frais, bien loin de la mousse pleine d'amertume et du jaune évocateur des bières. À y réfléchir quelques secondes, il est autant en décalage avec le reste des boissons que moi avec les autres clients de ce bar.

Un soupir vient m'écraser la poitrine et mes yeux se mettent à dangereusement me picoter. Je n'ai rien à faire ici. Je n'y ai pas ma place. Pourquoi ai-je cru que, cette fois, ça serait la bonne ? Cette soirée, préparée à la va-vite, était vouée à l'échec dès le début. Et si je ne m'étais pas laissé emporter dès le début, je m'en serais sans doute rendu compte, ce qui m'aurait épargné une telle désillusion.

Je fais rouler mon ombrelle entre mes doigts. Je dois avoir l'air d'une cruche, assise toute seule au comptoir d'un bar sportif. Ou d'une fille en manque d'attention. Voire une prostituée ? Mon rouge à lèvres, dont la couleur me semblait propice à la séduction devant mon miroir, doit plutôt rappeler le maquillage excessif qu'une travailleuse du sexe arborerait.

Je soupire à nouveau.

— Eh bien, ma jolie, ça va pas ?

Un quincagénaire bedonnant étire ses lèvres en un sourire qui se veut doux, mais qui ne parvient toutefois pas à dissimuler l'éclat vicelard de son regard.

— Ça va très bien.

Je lui réponds d'une voix glaciale, mais ma réponse n'a pas l'effet « douche froide » auquel j'escomptais. Il ne s'est pas démonté le moins du monde et se rapproche même de moi, en tendant une main dominatrice dans ma direction. Je me recule d'un bon avant qu'il ne me touche et m'agace aussitôt.

— Mais dégage !

Un air outré se peint sur son visage et il reprend sa main, tandis que deux hommes à proximité se retournent à mon cri et me lancent un regard moqueur.

— Faut pas s'agacer comme ça, ma jolie, je me contente juste d'être sympa.

Je secoue la tête à son aplomb.

— Mais il faut croire que je viens de tomber sur une hystérique.

Il sourit, se pose en victime, attend visiblement que je réagisse. Et ça ne manque pas. J'ouvre la bouche, prête à lui cracher dessus toute ma verve avant de déguerpir pour ne plus jamais remettre les pieds dans ce bouge.

— Philippe, va voir ailleurs si j'y suis si tu veux encore qu'on te serve ici, OK ?

La serveuse, que dis-je, mon ange gardien intervient avec un calme olympien, un poing fiché sur sa hanche.

— Ah mais moi, j'ai rien fait de mal, tu sais !

— Eh bien va faire rien de mal ailleurs.

Malgré son sourire, il est clair que son regard n'acceptera aucun refus. Ledit Thierry baisse la tête, la queue entre les jambes, et se fond lentement entre les étudiants.

— Merci, soufflé-je, encore rouge de colère et de honte.

— J'ai l'impression que c'est pas ta soirée, je me trompe ?

Je secoue la tête. Dire que ce n'est pas ma soirée, c'est un euphémisme. Toutefois, me plaindre n'arrangera pas ma situation et je plonge mon nez dans mon verre. Sur mes lèvres se dépose le mélange sucré et subtil du cocktail, une explosion florale, tout en douceur. De quoi apaiser mon cœur après tout ce qu'il vient de se passer.

— Ça te plaît ?

— C'est délicieux. C'est quoi ?

Elle m'adresse un clin d'œil malicieux et s'éloigne à nouveau. Mon envie de partir s'éloigne également. Moi qui ne suis pas une grande amatrice de cocktail, je suis doucement charmée par celui-ci. Je le sirote aussi doucement que possible et ne m'arrête que pour lire le message que je viens de recevoir. C'est Maximilien. Encore. J'espère pour lui qu'il n'est pas encore arrivé au dîner de Sarah et qu'il ne sort pas son téléphone au beau milieu d'une conversation avec ses potentiels futurs patrons.

« Alors, il est canon, hein ? Déjà trop absorbée par ses beaux yeux ? »

Ses beaux yeux, tu parles !

Je lui réponds rapidement de se concentrer sur sa soirée. Inutile de l'informer que son super pote n'a pas pointé le bout de son nez si je ne veux pas qu'il passe son temps à m'inonder de messages, grillant au passage toutes les chances de Sarah.

Un coup de coude dans les côtes me ramène à la réalité et je retiens une grimace.

Il est temps de m'en aller.

J'avale la dernière gorgée de mon cocktail, lèche la dernière goutte aux arômes de litchis, et attrape mon portefeuille. J'en tire un billet. Après tout, même si ma boisson était offerte, ma serveuse mérite un pourboire généreux pour sa gentillesse et pour toute la patience dont elle doit faire preuve avec les clients qu'elle se coltine.

— S'il vous plaît ?

Je me sens aussitôt stupide de l'avoir vouvoyée alors qu'elle m'avait clairement tutoyée, et le rose me monte aux joues.

Elle me fait signe d'attendre et disparaît derrière les portes battantes qui mènent on ne sait où. Je serre mon sac contre moi.

Environ cinq minutes plus tard, elle ressort et passe du côté client du bar.

— Oui ?

— Je... euh...

Avec mon billet à la main, je suis ridicule.

— C'est un pourboire.

Elle échappe un éclat de rire joyeux qui remonte dans ses pommettes et pétille jusque dans ses yeux.

— Range ça, va. J'ai fini mon service. Par contre, si tu as une cigarette à me payer, je veux bien.

Elle commence à avancer sans attendre que je lui réponde, puis se retourne pour lancer à la cantonade :

— Allez, salut, les gars !

Personne ne lui répond et elle ne s'en offusque pas, ne s'arrête qu'au niveau de la porte.

— Alors, tu viens ou tu veux rester là-dedans ?

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⏰ Last updated: Sep 15, 2020 ⏰

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