Chapitre 2 : N°21

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Sol patientait dans les coulisses, là où tous les artistes attendaient jusqu'à ce que ce soit leur tour d'entrer. L'espace était dissimulé par un rideau et même les spectateurs placés sur les extrémités des gradins ne pouvaient voir cette partie du chapiteau. Avant Minuit, il y avait Ugo, le lanceur de couteau d'une adresse remarquable, et Fiona la jeune ventriloque qui faisait parler et danser Nô, sa poupée. Mais évidemment, leur identité changeait une fois sur scène. Personne ne devait savoir les véritables noms des artistes, c'était "une règle primordiale du cirque" avait parlé le directeur. Alors les membres de la troupes s'étaient convaincus que c'était pour préserver l'anonymat et permettre à chacun de vivre une vie intime digne de ce nom, sans se sentir vulnérable face au public.

Après le numéro de Milena, c'était à Sol d'entrer en scène. Il avança sur le cercle de sable, richement éclairé. La toile bleu nuit s'accordait à merveille avec les spots qui simulaient un ciel étoilé. Majestueux, l'oiseau de lune s'avança, et de son pas léger, s'approcha du crochet métallique qui allait lui permettre d'accéder à sa destination finale. Son costume lui collait au corps, et était constitué d'un haut de toile fine, où s'ouvrait en V sous la poitrine un morceau de maille laissant voir à travers sa peau nue. Sur son col, du côté gauche, une touffe de plumes noires donnait un air de corbeau au jeune garçon. Le reste de la tenue s'accordait avec le haut : un fin bas d'un bleu foncé, coupé en suivant la forme de la hanche, et toujours ces mêmes mailles noires qui couvraient la partie ouverte. Quant au maquillage, il s'agissait d'un losange noir peint sur son front, et d'une longue larme coulant le long de la joue, celle qui hébergeait l'œil au croissant astral.

Sol n'était pas impressionné par la hauteur, il avait été entraîné et n'avait jamais éprouvé de difficulté sur ça. Sa magnésie était prête, étalée sur la paume de ses mains et son fin harnais qui le retenait dans le dos le temps de monter sur le trapèze, il observait son environnement. Sa seule protection était ce harnais. Il y avait peut-être bien six mètres, mais cela ne l'effrayait plus. Il avait déjà vécu l'expérience de la chute, c'était lorsqu'il avait douze ans. Il avait manqué la barre lors d'une pirouette et avait failli finir écrasé au sol. Son cœur s'était arrêté une demi minute avant de se rendre compte qu'il était toujours en vie. C'est dans la peur de refaire une telle chute que Sol s'entraîna durement et avec énergie afin de devenir l'acrobate parfait, celui qui ne chutera pas et garderai sa grâce éternelle.

Doucement, le pied enroulé autour du câble du harnais qui allait le mener jusqu'au trapèze, il se laissa porter vers les cieux. Son ascension dura moins d'une minute, et le pied posé sur la barre, le numéro commençait vraiment. C'était un enchaînement gracieux et emplit d'une certaine sérénité que Sol exécutait, dans la plus grande des beautés. Le corps tendu mais souple, il semblait voler, comme un oiseau sous un ciel étoilé. Ses muscles se relâchaient et se contractaient sans cesse, ses mouvements étaient fluides et bien menés, ne laissant voir aucun défaut dans sa chorégraphie aérienne. Sur le trapèze, Sol ne sentait plus rien. Il vivait un instant de pure liberté. Même son numéro il l'oubliait, tout n'était que réflexe. C'était son instinct qui l'amenait à faire ces gestes, à prendre cette corde ou l'autre, à tordre la tête on à la dresser fièrement. Il se laissait tantôt tomber la tête dans le vide, tantôt les pieds ballant au-dessus du sol. 

Le jeune garçon s'entortillait, se mouvait et s'enlaçait autour du trapèze, comme s'il lui accordait une danse. Le public l'observait, silencieux, attentif à ses gestes en accord avec l'orchestre qui jouait une mélodie d'un calme apaisant. Les violons menaient à bien la troupe, suivis de flûtes pianissimos, et d'un piano qui permettait qui devenait un repère pour le jeune acrobate. Son dos semblait fait d'un matériau bien plus souple que de l'os. Et doucement, il se balançait, d'avant en arrière, poussant de toutes ses forces avec ses jambes menues la lourde barre métallique sur laquelle il reposait. Son mouvement évoquait celui d'une pendule, hypnotisant ses spectateurs. L'Oiseau de lune volait. Il voltigeait, faisait peur, faisait rire, faisait rêver. C'est ainsi que Sol aimait être, comme un astre dans le ciel, suscitant l'émerveillement de ses observateurs.

Dear FreakWhere stories live. Discover now