Chapitre IV

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Elle s'est glissée hors de chez elle, en jetant un œil à droite, puis à gauche, et enfin derrière elle pour vérifier que personne ne la suit.

Elle s'est déjà fait intercepter par une personne qui n'était pas supposée la croiser en train de se rendre là-bas, et ça lui a occasionné une grosse frayeur.

Polina est obligée d'agir de cette façon, à chaque fois qu'elle veut se rendre à l'association pour laquelle elle milite. Elle est tranquille, elle a choisi un quartier de Strasbourg où ses parents ne vont jamais, histoire de minimiser les risques.

Elle marche rapidement, presque trop, et arrive au local à l'heure convenue pour la permanence, presque essoufflée. Elle prend un instant pour respirer normalement, et pousse la porte pour la énième fois depuis son premier passage ici. Elle en a vécu, des galères depuis, et l'idée l'a séduite, de venir aider les jeunes LGBTQ – Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Trans, en Questionnement. Une initiative à laquelle elle se tient depuis des années.

A l'intérieur, on l'accueille avec effusion, avec enthousiasme, et elle note du coin de l'œil que Magali est là, déjà au travail, en pleine discussion avec un jeune qui a l'air tout bonnement terrifié d'être ici. Il tremble de la tête aux pieds, à tel point que Polina a presque envie de courir vers lui et de le serrer contre elle, juste pour qu'il se sente rassuré, entouré, accueilli – au moins le temps qu'il passera ici.

Polina s'avance dans le local, soudainement calme et sereine. Chez elle, c'est toujours différent. Certes, elle sait que Lena la soutient quoi qu'il se passe dans sa vie, mais ses parents veillent toujours au grain et chaque fois qu'ils surprennent un regard prolongé entre les deux sœurs, Polina sent que sa mère se pose des questions.

Elle s'inquiète aussi parce que Polina ne parle pas de garçons, ne semble pas intéressée outre mesure par la gente masculine et elle ne sait pas vraiment quoi faire de cette information.

Lorsque la jeune fille se rend à l'asso LGBT, elle sait qu'au moins elle est entourée de personnes de confiance, qui ont vécu le même genre de parcours qu'elle et qu'elle n'est en aucun cas jugée pour ses actes, ses pensées qui sont différents du reste de la société.

Polina regarde Magali à nouveau, du coin de l'œil, sans oser vraiment avancer vers elle. Elles se tournent autour depuis pas mal de temps maintenant, environ quatre ou cinq mois, et Polina n'a toujours rien tenté. Elle sait qu'elle l'attire, elle sait aussi que la réciproque est vraie, mais elle savoure ces instants d'ambiguïté qu'elles affectionnent toutes les deux particulièrement sans vraiment le reconnaître.

Comme si elles étaient timides, comme si elles aimaient prendre leur temps.

Polina se saisit du cahier où les bénévoles s'inscrivent, afin de garder une trace écrite de leur présence. Elle écrit son nom, la date et l'heure à laquelle elle est arrivée, et accueille une jeune fille qui ouvre de grands yeux en la voyant. Elle a l'air impressionnée et très impressionnable.

Pendant qu'elle lui parle, Polina ne peut s'empêcher de remarquer qu'elle a l'air vraiment mal à l'aise, comme si elle avait peur que quelqu'un arrive derrière elle et ne la frappe.

Cette constatation la rend triste. Elle prend ses mains entre les siennes, et les serre doucement.

« Je sais ce que tu crains, Anna. Tu crains qu'on t'enlève ta liberté de penser, d'être attirée par les personnes du même sexe ou de l'autre sexe que le tien, mais personne ne peut t'enlever ça. Tu es bisexuelle, ça fait partie de toi, et tu n'as pas à avoir honte. Tu n'as pas à choisir entre les deux !

- Je sais tout ça. Je le sais, et puis dans la théorie c'est génial. Tu peux être la personne que tu veux sans subir de pression. Mais en vrai, comment on fait quand ses parents ne vous acceptent pas comme vous êtes ? »

RespirerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant