Chapitre I

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Il fait froid pour un mois d'avril, pense Polina en resserrant son écharpe autour de son cou. Le vent s'engouffre sous sa jupe, la faisant frissonner.

Elle regarde autour d'elle. Les gens sont attablés autour d'un café, d'un thé, d'une infusion – en tout cas d'un truc qui se boit. Les volutes de fumée s'élèvent des tasses, et ils ont l'air bien, là, à siroter leur boisson en discutant et en refaisant le monde, bien assis dans les fauteuils confortables du café.

Elle regarde sa montre pour la troisième fois depuis qu'elle est arrivée. Il a quinze minutes de retard, et elle est arrivée avec au moins vingt minutes d'avance, la faute à cette stupide horloge qu'elle a dans la tête et qu'elle porte partout inconsciemment avec elle.

Polina regrette, à ce moment précis, de ne pas avoir de portable et de ne pouvoir joindre personne. Si le mec qu'elle attend a décidé de décommander au dernier moment, elle sera bonne pour attendre ici toute seule jusqu'à dix-sept heures.

C'est ridicule, décide-t-elle. Il n'a que quinze minutes de retard après tout, pas la peine d'en faire tout un plat. Elle se renfonce dans son fauteuil, et compte machinalement les euros qui lui restent en poche. Six ou sept, pas plus. Elle est supposée les garder pour acheter du pain, mais tant pis. Si elle ne prend qu'un thé, elle arrivera bien à acheter une baguette, non ?

Le carillon de la porte retentit et Polina lève la tête.

La touffe de cheveux bruns en bataille lui indique qu'Alex vient enfin d'arriver. Elle sourit et se lève pour lui faire la bise. Ses joues sont gelées, il a le nez rouge, et ses yeux noirs sont cernés. Il lui adresse un petit sourire, mais Polina devine tout de suite qu'il n'a vraiment pas l'air en forme. Elle ne lui pose pas de questions, mais Alex devine immédiatement à l'expression de son visage qu'elle a deviné qu'il n'allait pas bien. Il lève la main, et baisse la tête parce que déjà, ses yeux s'embrument et il se sent embarrassé de devoir fournir des explications. Polina le comprend parfaitement, et tire son fauteuil pour pouvoir s'asseoir. « Ca fait plaisir de te voir, mon cher voisin ! »

Alex relève la tête, et lui adresse un vrai sourire, cette fois.

Ils habitent l'un à côté de l'autre depuis toujours, et ils se connaissent assez bien, suffisamment pour se retrouver quand ils le peuvent et dès que leurs emplois du temps le leur permettent, généralement une fois par semaine.

Mais ce qu'il y a d'étonnant, c'est que même si ils ont partagé des choses confidentielles, voire intimes, ils n'ont jamais discuté de leurs vies amoureuses, ni à l'un ni à l'autre. Comme un accord tacite. Alex n'a jamais posé de questions sur ce sujet à Polina, et la réciproque est également vraie.

Parfois, ils se regardent et ils devinent que l'autre cache quelque chose, qu'il ne raconte pas l'intégralité de son histoire mais Polina a trop de respect pour Alex pour insister quand elle lui pose des questions. Ils ont frôlé le sujet à de nombreuses reprises mais c'était trop compliqué pour l'un comme pour l'autre de franchir cette ligne. Il n'y aucun retour en arrière possible une fois la confidence offerte sur la table, au milieu de leurs jus d'orange et Coca.

Alex sent bien que Polina aurait quelque chose à lui dire, quelque chose qui la taraude. Il est très observateur, il voit que parfois, une ombre presque imperceptible voile son regard et qu'elle est partie ailleurs, qu'elle a déconnecté de leur conversation, qui reste légère.

Il lui semble qu'elle vient de prendre une décision importante, parce que tout d'un coup en face de lui elle se redresse dans son siège.

« Alex, il faut absolument que je te dise un truc. J'ai trop les boules de t'en parler, même si on se connaît maintenant et qu'on s'apprécie, mais ce truc-là il me... »

RespirerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant