Je n'y croyais pas.

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Je n'y croyais pas.

Quand vous m'encouragiez

Quand vous me répétiez que c'était évident

Quand vous vous réjouissiez par avance de mon futur

Et quand vous vous agaciez quand je venais à douter à voix haute.

Je n'y croyais pas,

Pas par manque d'espoir ou d'envie,

Pas par manque de travail ou de cœur à l'ouvrage,

Je n'y croyais pas parce que j'y tenais trop.

Et si je n'osais pas en parler, c'était par crainte que tout m'échappe,

Que les mots une fois prononcés, leur sens se fane aussitôt,

Je craignais que leur profondeur et leur étincelle ne me survivent pas

Qu'une fois échappés de mes pensées, ils s'estompent brutalement

Me laissant seule et désœuvrée, avec au cœur beaucoup de rêves

Mais trop peu d'espace dans la réalité pour les faire éclore.

Je n'y croyais pas parce que cela m'aurait fait trop mal d'y croire,

Si ce monde n'avait pas été le bon et que mes espoirs étaient voués à y être déchus.

Qu'aurais-je fait si tout s'était effondré entre mes doigts impuissants ?

Tout reconstruire ailleurs, batailler plus fort, avez-vous dit,

Mais je ne m'en sentais pas capable,

C'était ici et maintenant, dans cette ville que je chéris tant,

Au côté de cet homme qui m'a tant fait confiance,

Alors qu'à peine sortie de ma timidité maladive,

Je n'ai su bredouillé qu'un seul nom : Leibniz,

Je n'avais ni idée, ni volonté de prétendre le contraire,

Je ne savais que faire de mon esprit et des pensées qui s'y entrechoquaient,

Je voulais juste comprendre, percer quelques mystères

J'avais juste quelques intuitions et l'envie de leur donner raison.

Cela tremblait encore si fort dans mes mains,

Et mes pas étaient si peu assurés sur le chemin que je voulais pourtant emprunter.

C'était ici et maintenant, au côté de cette intelligence rare qui me dévisageait

Derrière des yeux perçant qui ne laissaient aucun répit aux miens.

On ne se dissimule pas quand on aborde la philosophie,

On la laisse nous embraser tout entier,

Dévorer tout le temps que l'on a,

Arpenter le moindre recoin de notre être,

On la laisse surtout nous changer profondément.

Je crois que ce que j'ai rendu en mai était aussi brouillon que moi,

On devait y voir vaciller tout ce que je suis,

Le profond respect que j'ai envers cet allemand

Dont on a fêté il y a peu le 377 anniversaire.

Je crois qu'on devait y voir aussi les méandres de mon esprit

Le bouillonnement des idées,

La folie pure des intellectuels qui s'acharnent à parler de la contingence

Et autres choses qui existent sans exister

Mais qui cousent notre vision du monde

Du fil rouge de l'intelligence humaine.

C'était ici et maintenant,

Le voyage y avait commencé

Il devait s'y finir ou s'y réinventer.

Je n'y croyais pas,

Je crois que même quand j'ai commencé à lire sa réponse,

Je n'y croyais pas,

Et puis, la vérité était là.

Les mots me paraissaient encore trop forts,

Trop précieux pour m'être destinés,

Et seulement alors, j'ai accepté d'y croire pour de bon.

Un jour, je serais docteure en philosophie,

Parce qu'une personne que j'admire pour son intelligence exceptionnelle

A décidé de croire en la mienne aussi tremblante et téméraire soit-elle.

Je crois que pour ceux qui aiment penser, il n'y a pas de plus belle générosité.

Et même s'il ne me contera jamais la destination, je sais qu'il aime y guider mes pas,

J'ai déjà vu son sourire devenir immense plus d'une fois,

Alors qu'il contemplait naître dans mes pensées,

La compréhension de tout ce qui jusqu'à présent me dépasser

Et la fascination pour tout ce qui me dépassera toujours.

Je ferai de mon mieux chaque jour de ma vie,

Et ne pourrais jamais assez le remercier

D'avoir décidé de rendre cet avenir possible

Et d'y croire désormais avec moi.







Poésie brumeuseWhere stories live. Discover now