11 : La Saint-Valentin de Gabin.

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Si Marion Cotillard était une actrice renommée malgré sa mort dans The Dark Knight, alors ma mère méritait un Oscar pour sa prestation du « Non ! Tu m'emmènes passer le week-end dans les Alpes pour la Saint-Valentin ? C'est pas vrai. Mon chéri, c'est adorable ! Alors, là, je ne m'y attendais vraiment pas. » Elle avait découvert les billets de train il y a trois mois, mon œil qu'elle ne s'y attendait pas. Pourtant, mes parents, d'aussi loin que je les connaissais (je dirais donc, depuis ma naissance), n'avaient jamais fêté la Saint-Valentin. Peut-être un bouquet de fleurs à l'occasion, mais jamais de voyage surprise à la montage. C'était sûrement l'effervescence toujours présente du mariage qui leur donnait envie de vivre leur amour à fond... Allez savoir !

Ah, tiens, en parlant d'amour.

Précédemment dans « Agabin ».

On avait fait la promesse implicite de ne pas tomber amoureux, et le problème, c'est que j'étais déjà tombé amoureux avant de faire la promesse. Agathe a cassé la fève la plus rare de ma collection, mais je ne lui en ai pas voulu, car j'ai beau vouloir m'énerver, quand je la vois, je n'arrive pas à être en colère. On s'est retrouvé pour manger une galette. C'était sympa. Jusqu'à je lui avoue mes sentiments sous une table d'où il émanait une bonne odeur de pieds. Moins sympa. Depuis, elle ne m'avait pas parlé. J'avais envoyé un message pour lui proposer un ciné. Elle n'a jamais répondu.

Je suis certain qu'elle croit que j'ai voulu tenter un coup de maître, en lui balançant à la figure que je l'aimais. Elle a dû s'imaginer que j'avais un total contrôle de la situation, et que j'étais en train de jouer avec elle. Voilà probablement la raison pour laquelle elle ne m'avait pas répondu : de peur d'être prise pour une conne, ou pire, d'être encore prise pour une conne. Mais, en fait, pas du tout !

La vérité, c'est que j'ai paniqué comme un claustrophobe dans un ascenseur. Agathe était là, devant moi, peut-être pour la dernière fois, puisque sa mère et sa sœur semblaient donner cher de ma tête. Je me suis dis : « Gabin, si tu dois ne plus jamais la revoir, quitte sa vie avec dignité. » En un sens, ça avait fonctionné, puisque j'étais bel et bien parti de son existence. En un mois et une semaine, pas de nouvelles, pas de repas ensemble de prévu. C'était la première fois qu'on arrêtait de se parler pendant si longtemps.

Elle me manquait, tout de même.


Le vendredi soir, soit deux jours avant la vraie date de la Saint-Valentin, mes parents ont pris la route pour aller dormir dans un chalet, et manger de la fondue savoyarde. J'avais la maison pour moi tout seul, ce qui signifiait beaucoup de liberté comme celle de faire pipi la porte grande ouverte pour entendre parfaitement la télévision.

Il était 21 heures, et je mangeais des pâtes – parce que j'étais le cliché de l'adolescent peu débrouillard, et que je ne savais cuisiner que des pâtes – quand la sonnerie de mon téléphone a retenti dans la pièce. C'était un numéro inconnu, mais comme j'aimais bien le danger, j'ai décroché.

─ Habille toi en noir, m'a-t-on ordonné avant que je n'ai eu le temps de parler, mets des lunettes de soleil, et attends devant chez toi dans cinq minutes.

La ligne s'est aussitôt coupée, et je suis resté comme un abruti, à fixer mon téléphone. Il n'y avait pas de mystère sur l'identité de la personne, j'aurais reconnue sa voix parmi mille appels masqués. Agathe avait un timbre très particulier, d'un aigu brisé. Non, ce qui m'a paralysé pendant une bonne minute, c'était de me dire qu'elle avait fait le premier pas. Je n'avais pas misé sur elle, j'avais pensé que jamais elle n'aurait craqué, que je devrais indéfiniment faire des efforts de plus en plus démesurés. Après tout, je n'étais qu'à quelques messages laissés sans réponse de plus avant de me traîner jusqu'à son lycée, espérant la voir à la sortie. Même si au ton autoritaire dans sa voix, j'ai eu du mal à m'imaginer que tout rentrait vraiment dans l'ordre, cet appel remettait tout en cause : Agathe avait pris les choses en main, Agathe voulait me revoir. Agathe acceptait de me reparler...

Les 24 états d'âme de Gabin et Agathe.Where stories live. Discover now