Zelda

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Comment a-t-il pu ne pas la voir ?

Une clé ! Une clé lourde et grise, ouvragée. Une p... enfin une clé, quoi !

C'est ce que je me répète rageusement alors que je frotte de toutes mes forces mes pauvres gencives. Heureusement que la brosse à dent est extra-douce. Sinon, bonjour les soucis.

Je crache la pâte mousseuse dans l'évier, expulse un filet rouge, et le regarde se noyer dans l'eau qui coule du robinet.

Il n'y a rien de plus précieux dans mon bujo que la clé de Mamicha. Elle me l'a confiée l'année dernière, quand on a enterré Sarah. Elle m'a dit qu'elle me revenait de droit et que je devais la garder précieusement. En deux semaines, je l'ai perdu deux fois. La première, dans le train. La deuxième, chez cet idiot de Louis.

Il aurait quand même pu être plus prudent. Mon téléphone vibre, la notification de son dernier message s'affiche sur l'écran. En plus, il le dit lui-même ! ça me fait presque regretter de lui avoir offert le repas... Il a dû faire tomber l'enveloppe quand il a rangé le pétunia et ensuite, quand il l'a remise à sa place, la clé n'était plus là.

Ça m'arrive jamais, ce genre de truc. Quand je range quelque chose quelque part, il ne bouge plus. Il a sa place et l'équilibre précieux entre moi, cet objet et l'univers est bien gardé.

Cette histoire m'agace tellement que j'ai besoin de monter me chercher un verre d'eau. A pas de loup, j'affronte l'escalier grinçant qui mène au rez-de-chaussée. J'entrouvre la porte qui me sépare du couloir, écoute un instant les bruits de la maison.

Il fait nuit noire, à l'exception du salon où le lampadaire éclaire encore la pièce et projette ses faisceaux lumineux sur le parquet de l'entrée. Je m'y glisse discrètement. Mamicha a dû oublier d'éteindre, quand elle est partie se coucher. Je m'approche.

Elle est là, assoupie. Ça m'en ferait presque oublier la clé. Ma grand-mère somnole, les mains encore fermement accrochées à sa lecture du soir. Ses lunettes, accrochée à une chaînette en argent, pendouille sur sa poitrine. Cette dernière se soulève doucement au rythme de sa respiration. Je compte.

Trois respirations courtes, une expiration longue. Mamicha, quand elle dort, elle danse la valse.

Je la couve d'un regard attendri, l'observe, hésite à lui ramener un plaid ou une couverture. Je me décide finalement à lui prendre quelque chose pour la couvrir. Je ne voudrais pas qu'elle attrape froid. Les journées sont chaudes, en Bretagne. Les nuits, elles, sont glaciales.

Je reviens avec un plaid. Le temps de lui prendre sa lecture du soir et de la poser doucement sur la petite table du salon et voilà ma grand-mère bordée. Ses mains joufflues se resserre autour du drap, un sourire apaisé couvre un instant ses lèvres.

Et puis j'éteins la lumière.

.

Au fond de mon lit, je repense à Mamicha et à sa clé. Ça fait un an que je l'aie et je ne suis jamais demandée à quoi elle pouvait bien servir. « A ouvrir quelque chose », m'aurait dit Isis en levant les yeux au ciel. Et de son accent chantant, elle aurait rajouté : « Ce que tu peux être bête parfois. »

Isis me manque. A part Mamicha, je n'ai personne ici. Jusqu'à Louis. A bien y réfléchir, je me demande même si on peut dire que j'ai Louis. C'est qu'on s'est un peu parlé, ces derniers jours et à part l'épisode de la clé, je crois que je l'aime bien. C'est un type bien, Louis.

Sans déverrouiller mon téléphone, j'allume l'écran. Sa notification est toujours là. Je me sens un peu mal de ne pas lui avoir répondu. J'ai été bête. Je crois que je m'en voulais de ne pas avoir pensé à le vérifier plus tôt. Ce qui est fait est fait et si c'était à refaire, je ne sais pas si je me serais fâchée. Ça, c'est mon côté maman. Elle aussi, parfois, elle pique une crise parce qu'elle est contrariée.

J'hésite à lui répondre. Je me demande si c'est trop tard. S'il m'en veut. J'aimerai qu'il s'inquiète. Qu'il guette mon message. Ça me ferait un ami. Et j'aurais Mamicha, mon bujo et Louis.

Sur la table de nuit, son pétunia séché n'a pas bougé.

Je souris de ma propre bêtise. Si Isis avait été là, elle m'aurait fait la peau. D'abord, elle aurait détaché ses cheveux, comme à chaque fois qu'elle s'apprête à donner son avis. Ensuite, ses poings auraient rejoint ses hanches et son regard se serait fait dur. Et d'une grosse voix, elle aurait dit :

« Ma pauvre fille, heureusement que je suis arrivée dans ta vie ! Socialement, tu es une catastrophe et il faut tout t'apprendre des relations humaines. »

Et je sais qu'au fond, elle n'aurait pas eu tort.

Bon, Louis... Ne pense surtout pas que je vais m'excuser, hein...

Mais je ne peux pas te laisser en plan comme ça.

Isis n'approuverait pas.

Mamicha, bujo et pétuniasWhere stories live. Discover now