Zelda

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La pluie, battante, s'écrase sur le carreau de la porte-fenêtre. Mamicha, comme à son habitude, est dehors, sous un parasol, et bouquine, un épais châle sur ses frêles épaules. Je l'observe du coin de l'œil, l'air mauvais. C'est une mauvaise manie. Papa n'aimait pas qu'elle le fasse, mes oncles encore moins. Il n'y avait que Sarah pour la rejoindre et lui offrir une tasse de café protégée sous du papier journal.

Parfois, je me tâte. Je me dis que je pourrais perpétrer la tradition, que ça ferait plaisir à Mamicha. Et puis, je me décourage. Je n'aime pas la pluie. Je l'ai associée à des mauvais souvenirs. Mais en Bretagne, quoiqu'on en dise, la pluie est belle. Elle est épaisse, dévastatrice. Sauvage, comme la côte sur laquelle elle s'abat. La pluie clapote, s'égoutte et ruisselle. Elle est maître de tout, et je suis fascinée par ces choses incontrôlables.

Aujourd'hui, je la déteste encore plus. Parce que de son aura noire, elle menace la côte d'un orage violent. Les vents se sont levés ce matin, ils ont balayé les plages, se sont infiltrés jusque dans le jardin. La mer, au loin, se déchaîne. Je suis montée jusque dans le grenier pour l'observer par-dessus les toits. Et ça m'effraye.

Louis est sur l'eau. Qu'est-ce qu'un misérable bateau à voile contre la force déchaînée des éléments ?

Comme je n'ai pas de nouvelles, je préfère me changer les idées. Finalement, peut-être que Mamicha se laissera tenter par un café ?

.

On est assise, à regarder la pluie tomber. Quand Maria boit son café, elle ne fait que ça. C'est comme ça.

« J'ai les os qui grincent, souffle-t-elle, à un moment. Pas toi ? »

J'écoute le silence du jardin et la pluie, qui inlassablement, s'écrase sur la végétation et les nains en terre cuite.

« Non, je lui réponds. »

On se tait de nouveau. A un moment, j'ai un doute. Mais en réalité, ce n'est pas mon squelette, juste la girouette sur le toit, qui aurait besoin d'un peu de graisse.

« Au fait, Mamicha, qu'est-ce que tu fais là ? »

Elle s'interrompt dans sa dégustation, me dévisage, l'air sceptique.

« Comment ça, qu'est-ce que je fais là ? répond-elle. Je bois mon café.

- Non, je voulais dire... Euh... Comment tu es arrivée à Dinard. Tu ne viens pas d'Espagne ?

- Si, si.

- Mais alors ? On est quand même sur deux extrêmes.

- J'ai épousé un breton. Il m'a emmené ici et je suis tombée amoureuse.

- Oui, mais, il est venu te chercher en Espagne, Papicha ? »

Mamicha secoue doucement la tête.

« Non, pas du tout.

- Donc ?

- Tu n'as pas une clé, dans une enveloppe ? »

Elle m'a coupé dans mon élan. Je regarde Mamicha, un peu surprise. Maria m'observe, sans rien dire, son sourire éternel sur les lèvres.

« La clé de Sarah ?

- Ta clé, maintenant.

- Qu'est-ce qu'elle a ma clé ? »

Mamicha hausse les épaules, se redresse dans son fauteuil, réajuste le châle.

« Elle ouvre une boîte, elle me précise simplement. »

Ce trait d'esprit m'agace.

« Laquelle ? je l'interroge abruptement.

- La grosse malle, au grenier.

- Tu déconnes ? »

Mamicha secoue la tête. Ses cheveux poivre et sel s'animent. Le vent s'engouffre dans ses boucles, défait sa raie qu'elle coiffe toujours de côté. Je n'en reviens pas. La malle a toujours été là. La clé, dans mon bujo, précieusement enfouie dans son enveloppe. Et je n'y ai jamais pensé. Est-ce que Sarah, elle, a eu le temps de s'en douter ?

« Il y a quoi, dans ce coffre ? je me demande plus que je ne m'adresse à ma grand-mère.

- Tu verras.

- Trop de mystère. »

J'ai envie de l'abandonner, de courir au grenier. Et puis, tout à coup, je me dis que ça ne presse pas. En fait, maintenant que j'y pense, je crois que je regarderais bien la pluie tomber.

Au moins jusqu'à ce que Louis me dise qu'il est bien en sécurité.

Mamicha, bujo et pétuniasWhere stories live. Discover now