Zelda

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On est assis sur le sable de St Enogat. L'île de Cézembre n'est plus que l'ombre d'elle-même. Au loin, parfois, se dessine le crépitement des vagues. Louis se colle un peu à moi. On se tient chaud, comme des pingouins.

« Miguel a essayé d'obtenir un permis de résidence de son arrivée à Le Barcarès jusqu'à son départ de Rivesaltes, ai-je conclu, au bout d'un silence interminable. Mamicha était malade et sa mère, de nouveau enceinte. Son petit frère n'a pas passé l'hiver 1943. »

Je me suis tue, de nouveau. Louis a hoché la tête. Sa main a trouvé la mienne, enfouie dans le sable. Et ses doigts se sont agrippés aux miens. C'est agréable, comme sensation. Ses mains sont calleuses.

Ces deux derniers jours, j'ai l'impression que toute mon énergie n'a été consacré qu'à la famille de Mamicha. Je me doutais bien qu'ils étaient espagnols. Mais j'ignorais qu'ils avaient vécu une telle histoire. Parfois, je me demande si Sarah n'a pas fouillé dans la malle, elle aussi.

« Maintenant, je sais, je murmure. Mais ça fait bizarre de savoir.

- J'imagine, répond Louis.

- Je suis pas sous le choc, enfin pas vraiment. Mais j'imaginais pas ça.

- De là où ils sont, ils doivent être ravis de savoir que leur arrière-petite-fille est au courant.

- Tu penses ?

- Je suis sûr. »

On se tait. C'est marrant comme tenir sa main, c'est naturel. Isis m'a prévenue, quand on s'est appelé. Elle m'a dit : « Tu l'aimes bien. ». J'ai répondu : « Plus que Martin. ». Mais, si. Le type de ma promo. Je craque un peu pour lui. Pas autant que pour Louis.

« Dis...

- Oui ?

- Je me suis toujours demandé... tu peins aussi ?

- Un peu, pourquoi ?

- Parce qu'il y avait une aquarelle, là où j'ai laissé le pétunia.

- C'est Sarah qui m'a appris. »

Louis et moi, on échange un regard. Dans l'obscurité, je vois vaciller la flamme de la curiosité. C'est un peu intimidant, de le voir me regarder comme ça. Je sens qu'une question brûle ses lèvres.

« Sarah est morte l'année dernière, je lui réponds. »

Il ferme les yeux quelques secondes, inspire, expire, les ouvre. Il ne me regarde pas avec pitié. Il me regarde, c'est tout.

« C'était la plus jeune... j'ajoute sans le quitte des yeux. Une maladie de merde. Quand ça a commencé, mon père a pas pu retourner voir Mamicha parce qu'elle s'occupait de Sarah. C'est là, que j'ai commencé à y aller seul. Et mon oncle, il passait, mais en coup de vent. »

Il ne me dit pas : « je suis désolé ». Louis ne dit rien et ça fait du bien. C'est sa main dans la mienne, qui me soutient.

« On l'a enterrée dans le jardin, mais c'est interdit, donc ne le répète à personne. »

Ça le fait sourire. Moi aussi.

« Julie est morte quand j'avais dix ans, a-t-il dit en regardant la mer. Elle avait sept ans de plus que moi. C'était la fille de mon père et d'une autre femme. Ma mère l'a adoptée sans poser de question. »

Il n'a pas lâché ma main. J'en ai profité pour poser ma tête sur son épaule. Il sent bon. Un peu la mer, un peu le sel. Et les fleurs.

« Un jour, elle est partie en mer avec des copains. »

Une vague s'écrase sur le sable, la silhouette fluette d'une chauve-souris nous frôle les têtes.

« Et elle n'est pas revenue. »

C'est pour ça, qu'il ne dit pas : « je suis désolé ». C'est pour ça qu'il ne me regarde pas avec pitié. Parce qu'il sait.

« On a mis trois ans avant de réussir à vider sa chambre et déménager. Quand on a quitté notre ancien appartement, j'ai pris Pétunia et ses pots de fleurs. Je m'en occupe parce que ça me rapproche d'elle. »

J'acquiesce. Je comprends. C'est quand Sarah est partie, que j'ai commencé mon Bujo. Et dedans, souvent, je lui écris.

« Louis ?

- Hm ? »

Il se décale pour pouvoir me regarder. Je l'observe un instant. La lune caresse ses traits, le vent balaye ses cheveux.

Je me suis penchée.

Et je l'ai embrassé.

Mamicha, bujo et pétuniasWhere stories live. Discover now