Louis

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Louis

Je suis devant chez elle. C'est une maison pas très grande, mais à côté de mon appartement, c'est un palais. La pierre brune, typique de la région, me rappelle celle de la maison de mes grands-parents. Je ne sais pas si je dois sonner, et quand j'approche enfin mon doigt du bouton, la porte d'entrée s'ouvre. Zelda sort, les cheveux en bataille, un peu de poussière sur le t-shirt. Elle me voit et son visage s'illumine d'un sourire soulagé.

« Louis ! Par ici ! qu'elle m'appelle. Vas-y, entre, c'est ouvert. »

Le temps que je la rejoigne, elle est déjà devant le portail. J'aperçois, derrière elle, des pétunias. Ça me rend toute chose, mais ils ne sont pas aussi beau que mes plants. Quand elle s'aperçoit que je ne l'écoute pas vraiment, elle toussote. Zelda n'a pas l'air agacée.

« La clé, qu'on ne l'oublie pas, cette fois ! elle s'amuse. »

Je fouille dans ma poche. Le métal est froid. Je meurs de chaud. Nos mains entrent en contact quand je lui dépose le petit objet dans le creux de la paume.

« Merci ! souffle-t-elle. Et merci de m'aider.

- Qu'est-ce qu'on doit faire, alors ? je lui demande, alors qu'elle m'invite à entrer chez elle.

- Il y a pas mal de cartons qu'on aurait dû jeter il y a bien longtemps, m'explique Zelda. Mais ils sont un peu lourd et l'escalier du grenier n'est pas hyper praticable. »

Je n'ose pas lui dire que si je suis plutôt doué en aviron, je n'ai absolument aucun équilibre. Je la suis jusque dans son salon alors qu'elle continue à détailler le déroulé de notre après-midi. Tout d'un coup, Zelda s'arrête, se tait et me fait un signe de la main.

« Je crois que Mamicha fait sa sieste... observe-t-elle. »

Effectivement, quelque chose dort sur le fauteuil. Je plisse les yeux. C'est quelqu'un, en fait. C'est Mamicha.

« Bon, on va monter, alors. »

J'acquiesce.

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Zelda n'a pas parlé d'un capharnaüm quand elle a évoqué son grenier. Je crois que je me suis fait flouer sur la marchandise. Mais je n'ose pas trop rouspéter. Zelda est bavarde. Elle me parle de tout ce qu'il y a ici comme si l'objet venait d'y être déposé.

« Ce berceau, c'est le premier mari de Mamicha qui l'a fabriqué, m'explique-t-elle d'abord. Et ça, cette robe, c'était la robe de demoiselle d'honneur de Sarah au mariage de mon oncle. »

Quand on passe devant une grosse malle, je suis obligé de me baisser pour ne pas me prendre une poutre en pleine figure. Ça fait rire Zelda.

« Bon... elle souffle une fois qu'on a fait le tour. Ce qu'il faut qu'on descende pour la déchetterie, c'est tous les cartons qui sont dans ce coin.

- Qu'est-ce que c'est ? je m'inquiète en constatant que c'est le coin le plus touffu du grenier.

- Des vieilles toiles que l'air marin a abîmé, réfléchit Zelda. Mamicha était peintre. Je crois qu'il y a aussi quelques affaires à Sarah.

- Elle ne voudra pas les récupérer ? je demande. »

Zelda se fige. Je crois que j'ai fait une bourde. Elle se retourne, me sourit.

« Non, elle ne viendra pas, elle murmure. Et puis, il y a aussi pas mal de vêtements que je veux donner à la fondation de l'abbé pierre.

- On s'y met, alors ? »

J'ai l'impression qu'elle a évité le sujet, je n'ose pas insister. Elle hoche la tête et me charge de déplacer les cartons jusqu'à l'escalier. Elle a raison, il n'est pas très pratique. Exigüe, pentu. Les marches sont petites et proches. J'ai l'impression que je vais mourir là.

.

Au bout d'une heure, Zelda n'en peut plus. Elle propose qu'on s'arrête là pour aujourd'hui et suggère même qu'elle finira seule. J'ai envie de lui dire que je suis libre mais Dean va bientôt arriver et je ne suis pas sûr que mon camarade anglais ait très envie de passer un après-midi dans le grenier d'une inconnue.

« Je vais peut-être rentrer, alors ? je propose.

- Déjà ? demande Zelda. »

Elle est directe. A chaque fois, Zelda dit ce qu'elle pense. Ça se voit à la manière qu'elle a de me regarder. Déterminée, pas le moins du monde effrayée. Un peu surpris, je l'observe avec curiosité. Elle se mord la lèvre inférieure.

« Reste au moins prendre le goûter, ajoute-t-elle en fuyant mon regard. »

Elle repousse un peu de poussière de ses épaules joliment bronzées.

« Mamicha a sûrement fait un gâteau et un peu de citronnade pour toi.

- C'est trop gentil, il ne fallait pas.

- Mais si, elle insiste doucement. »

Zelda dégringole les escaliers, comme si elle l'avait toujours fait. Je la suis plus prudemment. Je n'ai pas envie de me casser quelque chose. Dans le salon, Mamicha ne dors plus dans le fauteuil.

« Viens, c'est par là. »

Je suis Zelda dans le couloir, on traverse sa petite cuisine ocre et blanche et on ressort de l'autre côté du jardin. Mamicha a dressé la table. Je constate avec envie qu'il y a déjà une carafe de citronnade au centre de la petite table en fer blanc.

Mes yeux errent un instant sur la végétation environnante. C'est un petit cocon. Quelques arbres pour l'ombre, d'innombrables fleurs, une petite fontaine qui gargouille joyeusement. Moi aussi, je veux un jardin.

« Mamicha ? appelle Zelda. »

Une forme se détache du tronc épais d'un pommier. Petite, toute fripée, toute bronzée. Elle s'approche de nous, un sourire aux lèvres, le regard pétillant.

« Mamicha, je te présente Louis, m'introduit Zelda. Et Louis, voici Mamicha, ma grand-mère. Maria. »

J'aime la façon dont mon prénom sonne sur les lèvres de Zelda. C'est un peu comme le chant d'un oiseau dont on ne pourrait pas se lasser.

« Bonjour Louis, me salue Mamicha et je n'ose pas prendre la main qu'elle me tend. »

Elle a l'air si fragile. Je me décide quand même. Il ne faudrait pas que Zelda pense que je suis un goujat.

« Bonjour, Maria. Merci pour la citronnade.

- Tu ne l'as pas encore goûté ! souligne la grand-mère. Si ça se trouve, j'ai confondu le sucre génois et la mort aux rats ! »

Je la regarde de travers. Elle me sourit, espiègle. L'accent chantant de sa voix résonne dans mes oreilles. De la mort aux rats ?

« Mamicha ! s'indigne Zelda. Tu n'as pas honte de raconter n'importe quoi ?

- Si on ne peut plus plaisanter... grogne l'ancêtre et je me détends.

- Oui, mais Louis n'a pas l'habitude de tes plaisanteries.

- Tu sais, à l'époque, je ne savais même pas ce qu'était la citronnade, insista Maria à mon intention.

- Oui, on sait que tu avais de l'eau, parfois un peu de lait, la gronde Zelda en plaçant ses poings sur ses hanches. Mais c'est le vingt et unième siècle et tu ne manques plus de rien ! Maintenant, si tu continues à embêter Louis, je vais te renvoyer à l'intérieur et tu ne prendras pas le goûter avec nous. »

Je crois que j'ai l'air un peu surpris mais elles n'ont pas l'air de faire attention à moi. Mamicha toise sa petite fille d'un regard amusé. Zelda n'a pas l'air en colère. Au contraire, sur ses lèvres, un petit sourire espiègle adoucit son regard noir. Des deux, je ne sais plus qui est l'adulte le plus âgé.

En revanche, je sais que je tombe amoureux de Zelda.

Mamicha, bujo et pétuniasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant