Acte III

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Au moins le chalet disposait-il d'eau courante. Après un bain chaud, je me sentais enfin détendu, presque somnolent. La chose qui me sembla la plus logique à faire après fut de m'installer près de la cheminée, enroulé dans la couverture que Nìmis m'avait donnée hier soir. Vanea achevait son travail de couture tout en jetant de temps à un autre un regard en direction de la porte d'entrée. Elle ne parlait pas, moi non plus.

Je pense que je m'endormis, car lorsque je rouvris les yeux, j'étais affalé contre le mur dans une position physiquement improbable. Je sursautais en découvrant quelqu'un près de moi. C'était Pennas, allongé sur le ventre et les mains tendues vers le feu, qui me regardait d'un air curieux.

— Tu faisais du bruit avec ta bouche quand tu avais les yeux fermés, déclara-t-il.

— Ah ? fis-je mollement.

Il acquiesça et se mit à produire une série de reniflements sonores que je compris être l'imitation de ronflements.

Génial. Il ne manquait plus que la bave au coin des lèvres pour parfaire le portrait du sommeil glamour. Je passais discrètement ma main contre ma bouche, sans heureusement rien sentir de tel.

— Je t'ai parlé, mais t'as pas répondu, reprit le gamin. Tu bougeais pas du tout.

— Ben oui, je dormais, grognai-je en me redressant péniblement, faisant craquer mes vertèbres au passage.

La chaise à bascule était vide, et par la fenêtre, la lumière du jour s'assombrissait déjà.

— Maman est sortie, et Nìmis est dans sa chambre, précisa Pennas. Tu veux manger ?

J'ignorais quelle heure il était, mais l'après-midi semblait déjà bien avancé et je n'avais dans le ventre que la pomme de ce matin.

— Pourquoi pas.

— Viens alors, on en profite.

Il bondit sur ses pieds, et je l'imitai avec la sensation d'être déjà un vieillard décrépi et fourbu de rhumatismes. Non, la sénilité à vingt et un an c'était trop cruel !

Pennas m'entraîna diligemment dans la cuisine. Dans celle-ci, pas la moindre trace de technologie moderne, sinon un poêle à bois (et encore, est-ce encore considéré comme de la technologie moderne ?). En revanche, une fort appétissante odeur de gâteau chaud planait dans l'air. Le gamin en dénicha rapidement la source, placée sous un torchon. Alors qu'il se saisissait d'un couteau, je m'inquiétai :

— Tu es sûr qu'on a le droit ?

— Je suis plutôt sûr qu'on a pas le droit, répliqua-t-il en commençant à couper deux généreuses parts. T'en fais pas, je dirai à maman que c'est moi qui ai tout mangé.

Quand il me tendit l'un des bouts du gâteau, j'envoyai mes scrupules au diable pour me jeter dessus. Et je ne le regrettai pas. Ma mère n'était pas mauvaise pâtissière, mais ce gâteau-là explosait tout. C'était the gâteau.

Nous revînmes nous installer devant la cheminée alors que la nuit s'installait tranquillement. En cette saison, il faisait nuit à dix-sept heures, et j'avais visiblement passé la majorité de la journée à dormir ; mais je me sentais reposé, propre, bien au chaud et bien nourri. Je me plaignais de ma situation, et pourtant j'aurais pu connaître un sort bien moins heureux.

— Vous faisiez quoi dehors avec ma sœur ? demanda Pennas.

Je lui retournai un regard interloqué. Il plaqua une main sur sa bouche comme s'il venait de faire une énorme gaffe.

— Mon frère, corrigea-t-il à toute vitesse. Mon frère.

Et il enfourna une grosse bouchée de gâteau.

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