Dénouement

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Je ne sais pas si une bonne étoile daigna enfin se pencher sur ma personne, mais le fait est que je retrouvai bel et bien le chemin de la Gunière.

Depuis le sommeil de la colline, j'apercevais la silhouette de ce chalet que je bénis de toute mon âme.

Minuit devait être passé depuis longtemps. J'accélérai le pas en m'inquiétant de savoir si ma vorace de famille avait laissé un os de dinde à ronger pour le pauvre hère que j'étais.

Les fenêtres donnant sur le salon et l'étage supérieur étaient toutes éclairées, et il me semblait entendre des échos de chorales de Noël. Rassemblant mon courage, j'entrepris de consciencieusement massacrer la sonnette.

Au bout d'un long moment, la porte s'ouvrit sur un mioche qui me toisait en se curant le nez. Dans le contre-jour, j'eus l'impression de revoir Pennas.

Mais en fait non, c'était mon cousin Hippolyte, douze ans physiquement mais six mentalement.

— Ça fait plusieurs jours que personne te trouve, me lança-t-il sans paraître particulièrement ravi. T'étais où ?

— Quelque part.

Et j'entrai sans attendre sa permission, parce que merde ça caille dehors.

— C'est qui ? demanda une voix venant du salon.

Accueillant et chaleureux, ça faisait plaisir. Je songeai à retourner au village, mais Hippolyte braillait déjà :

— ANTOINE EST LÀ !

J'entendis aussitôt des exclamations et des grondements de chaises repoussées. Dans un tohu-bohu monstrueux, mes parents, mon oncle, ma tante et ma grand-mère déboulèrent. Il y avait eu un tri sélectif pour ne conserver que le noyau dur de la branche paternelle, visiblement.

— ANTOINE ! rugit maman.

Elle me sauta dessus pour m'embrasser, me secouer et me hurler dessus en même temps. Complètement sonné, je ne compris pas la moitié des questions qu'elle me posa en rafale. Je surpris ma bien-aimée grand-mère en train de faire un signe de croix, et ne parvins pas à déterminer si c'était pour remercier Dieu ou m'exorciser.

Et puis une tête familière émergea de la cuisine, chaussée de lunettes et couronnée d'une crinière brune en bataille. Cassandre.

— Tiens, t'es là toi, bougonnai-je à son adresse.

Elle me sourit.

— Oui, j'ai juste passé le réveillon avec les filles et Gaëtan m'a montée ici hier.

Elle vint me prendre dans ces bras, avec une spontanéité qui me toucha.

— Heureuse de voir que t'es toujours en vie, ça m'aurait fait chier de passer tous les autres Noël toute seule.

— Moi aussi, rigolai-je. T'as plus intérêt à me laisser tomber.

Ben quoi, c'était un peu la faute de cette lâcheuse si tout ça était arrivé.

La question était de savoir si je le regrettais ou pas.

Finalement, la première émotion passée, les choses se calmèrent. Maman me traîna dans le salon où tout le monde se réinstalla, me colla dans les pattes un grand bol de tisane accompagné d'une assiette de dinde encore chaude, et exigea céans des explications sur ce que j'avais foutu pendant tout ce temps. Je décidai de ne pas mentir, mais d'estomper quelques détails. Ainsi, il s'avéra que j'étais tombé sur de bienveillants fermiers qui m'avaient hébergé et soigné avant de m'aider à reprendre le chemin du retour. J'exagérai un peu mon état après une nuit entière à errer comme un vagabond, histoire que ma convalescence d'une semaine soit crédible. Maman pesta, râla, pleura un peu, puis finit par conclure que j'avais eu de la chance. Elle me dit qu'ils avaient appelé la police et qu'on avait effectué des recherches dans les environs, en vain. J'hésitai entre me sentir embarrassé ou flatté.

Puis elle alla courir après Hippolyte qui avait encore fait une connerie, me laissant enfin respirer. Je pus aller récupérer mon téléphone, prenant connaissance avec une grimace du nombre de SMS et d'appels manqués accumulés. Un certain nombre venaient de Marco. Évidemment, il ne savait rien de ma disparition, mais s'inquiétait que je ne réponde pas. Si ma mère avait su que j'avais un copain, elle l'aurait alerté de la situation, mais je n'étais pas encore certain d'avoir le courage de faire mon coming-out.

— Alors, le héros.

Je levai le nez de mon téléphone pour découvrir Cassandre, installée à califourchon sur l'accoudoir de mon fauteuil. Elle me regardait par-dessus ses lunettes avec une expression malicieuse, et se pencha vers moi pour demander à voix basse :

— La vraie version de l'histoire, c'est quoi ?

Le VillageWhere stories live. Discover now